samedi 30 août 2014

ANNUS HORIBILIS (épisode 6) PETIT VOYAGE DANS LES ROCHEUSES

LE PARADIS

Alors, laissant tout derrière nous, pour le meilleur et pour le pire, mon fils Thomas et moi, on a pris l’avion pour Calgary. En sortant de l'aéroport, nous avons hésité entre taxi et autobus et finalement, nous avons opté pour le transport en commun, qui s'avèrera le bon choix malgré nos bagages. La première conductrice a bien compris où nous allions, elle nous a même laissé à côté du prochain bus que nous devions prendre, qui semblait être là à n’attendre que nous. C’était presque un service de limousine. Le B&B était un peu excentré et, pour cette raison, beaucoup moins cher, alors l’aide de ces gens a été grandement appréciée.


La dame de notre gîte est originaire du Québec, mais pas plus sympathique qu'il ne faut. Je l'ai même entendu dire qu'elle n'aimait pas les Québécois, qui pourtant doivent constituer une certaine part de sa clientèle puisqu’elle fait sa publicité dans les deux langues. Elle nous a aussi présenté à une autre cliente, une française, lorsqu’elle a su que nous parlions le français dégénéré du Québec, qui nous a regardé avec un sourire en coin et ne nous a plus adressé la parole de tout le séjour. Bel accueil!
À ma première visite en famille à Calgary, nous n’avions pas tellement aimé la ville. Je me souviens d’avoir marché dans des endroits désaffectés ou des parcs fréquentés par des gens peu recommandables. Pas très rassurant, avec trois enfants. Mais, j’imagine qu’avec le boom économique, les choses ont changé car je n’ai visité que des endroits forts agréables et sécuritaires, cette fois.
De chez nous, nous avions une assez jolie vue sur le Saddle Dome et le centre-ville, et pour nous y rendre, ça nous prenait à peine vingt minutes. Je dois préciser ici que, une fois que je suis arrivé à destination, j’essaie d’éviter transport en commun et taxis. On découvre tellement plus de choses en arpentant une ville à pied. J’ai récemment fait Manhattan, de Chinatown à Central Park sous la pluie, avec mon fils : magnifique souvenir, c’est un peu comme y vivre en n’ayant pas le stress qui vient avec.
Retour à Calgary : il y avait eu un article dans « La Presse », section Voyages, peu de temps auparavant, et leurs efficaces journalistes avaient simplement piqués toutes les bonnes adresses dans le guide de la ville qu’on nous remettait en arrivant ici. Pas trop difficile le métier de reporter et ils ont eu le voyage payé en plus, eux.
Les adresses étaient bonnes mais souvent difficiles à trouver, comme le Village Ice Cream, sur la 19e SE qui se comparerait au Bilboquet ici. C’était près de chez nous, mais dans un racoin un peu perdu dans un cul de sac bordé de pylônes électriques. On était à deux pas, mais on ne voyait pas le plus petit panneau publicitaire. On a bien failli rebrousser chemin.
Aussi, cette brûlerie que j'ai réussi à trouver après une marche de plus d'une heure à travers « leur » Mont-Royal qui est encore moins une montagne que ne l'est la nôtre, mais, là comme chez nous, il y a de très jolies maisons et les noms de rues m’étaient très  familiers: Montcalm, Wolfe, Québec, Montréal, Frontenac. Sympathique n'est ce pas? Mon petit café brûlerie s'appelait Phil & Sebastian, on le trouve sur la 33e SW et j'y ai bu le meilleur macchiato de ma vie. Faut dire que c'était mon premier, aussi. Un macchiato est un espresso avec une tache de lait, de là le nom qui signifie  taché. J’aime bien un bon espresso, mais je trouvais que la larme de lait l’adoucissait juste assez à mon goût.
En revenant vers le centre ville par la 20e rue SW, j'ai vu de belles maisons et, vieilles comme neuves, elles étaient construites en harmonie autant dans le style que les couleurs. Elles étaient la plupart du temps en bois et dans des teintes naturelles, qui se fondent avec leur environnement. Rien à voir avec l'anarchie vulgaire qui règne à Montréal et ses banlieues, où c'est le clinquant et le tape-à-l’œil qui règne en maître.
Le centre-ville, par contre, presqu'un dortoir, ce qui fait qu'à chaque fois que j'ai voulu réserver un resto recommandé dans leur guide, j'ai été surpris de savoir que c'était complet et par deux fois on s'est rabattu sur le Silver Dragon, dans Chinatown, d'abord pour des Dim Sum, puis pour une fondue chinoise avec deux bouillons, dont l’un très piquant. Il y avait un grand choix de fruits de mer comme j'en avais rarement vu et j’adore tout ce qui vient de l’océan.  On a bien sûr visité le musée Glenbow, et la tour de Calgary, avec son plancher en verre, en bons touristes.

Mais, assez de la ville et partons pour les montagnes. J'avais réservé une auto-caravane avec l'habitacle du conducteur séparé du reste du véhicule, la précision est importante pour mon histoire. La prise de possession s'est faite sans heurt et après un petit cours, nous avons pris la route en direction du parc des lacs Waterton. C'est peut-être un nom qui ne vous dit rien, mais c'est parce que j'ai la mauvaise habitude de toujours vouloir aller dans la direction opposée où vont les autres, par curiosité, d’abord, et parce que j’avais déjà été à Banff et Jasper. C'est comme pour les randonnées, je demande toujours pour la randonnée la plus longue ou la plus difficile. Comme si j'allais manquer l'essentiel si je ne faisais pas ça, mais je ne le regrette jamais. D’ailleurs, à ma dernière visite chez le Doc, quand je lui ai mentionné que j’allais dans les Rocheuses avec mon fils, il m’a dit de lui dire de prendre ça mollo, pour m’épargner. Ce qu’il ne savait pas, c’est que c’est moi le pire des deux.
Donc, ce parc se situe à l’opposé des autres, complètement au sud-ouest de l’Alberta, il jouxte le Parc des Glaciers aux États-Unis; on peut, d’ailleurs, y traverser la frontière et explorer les deux parcs. L'arrivée en vue des montagnes est rien de moins que spectaculaire, car c'est une longue plaine agricole qui vous mène à ces formations rocheuses qu'on aperçoit de très loin.
Vous vous demandez sûrement où sont les malheurs annoncés, ça s'en vient et nos souffrances devraient vous rappeler que mon histoire se déroule en 2013. Bon, on arrive, on s'installe, tout est beau, sauf que je ronfle. Mon fils ne veut pas dormir dans le même lit que moi, même s’il est énorme, je précise : le lit, pas mon fils. Il y en a bien un autre, mais, c'est un lit d'enfant. Je n’avais pas vu ce détail sur leur site en louant. Mon fils n'est pas grand, mais tout de même et en plus ils avaient oublié la literie pour lui.
Le premier soir, début juin, il fait encore un peu frais la nuit, alors, on se partage les couvertures, mais il aura froid. Le lendemain, on lui achète un sac de couchage, un peu mieux, mais il réintégrera l'habitacle principal le lendemain et, muni de bouchons, il dormira assez bien, bien qu'en diagonale et un peu recroquevillé le pauvre.
Notre première randonnée nous amènera aux chutes de Lineham Creek, un parcours pas trop difficile pour commencer, mais tout de même magnifique, car comme nous sommes à flanc de montagne, nous aurons toujours une vue sur l’autre côté de la vallée. Arrivés à une certaine hauteur, nous avons droit à une explosion de magnifiques fleurs sauvages comme j’en ai rarement vu. Il y a une belle grande chute au bout de la piste, nous y mangeons notre lunch et redescendons. Mais, pris de fatigue : décalage ou parce qu’il m’ont coupé le Décadron il n’y a pas si longtemps, nous nous allongeons près de la rivière pour un petit roupillon. Ce n’est qu’après, quand nous en saurons plus sur les Grizzlys, que nous penserons à ce qui serait arrivé si l’un d’entre eux avait eu soif tout à coup.
Le lendemain, randonnée vers Crypt Lake, 18 km, aller-retour, mais d'abord, il faut prendre une navette qui nous fait traverser le lac Upper Waterton et nous amène au début de la piste, petit trajet déjà agréable. Nous partons devant, il n'y a que cinq autres personnes que nous semons assez rapidement; ils semblent prendre une autre direction. Le chemin est assez facile, mais rendu plus haut, il y a de la neige fondante et glissante sur le flanc de la montagne. C'est un peu comme traverser une piste de ski alpin à l'horizontale, sauf que si on glisse, c'est au revoir la visite. Je ne peux pas vous dire ce qu'il y avait en bas, on ne voyait pas, mais ça semblait s’arrêter assez abruptement et on ne tenait pas à aller voir.
À chaque pas qu'on faisait, il fallait bien enfoncer sa botte dans la neige pour assurer sa position. Quand il y avait plus d’arbres, je me permettais d’aller plus vite, mais il m'est arrivé par deux fois de glisser. Heureusement, à chaque fois, j'ai pu me raccrocher à une épinette, mais la deuxième fois, je tenais l'arbre au bout d'un de mes bras maigre et j'étais incapable de reprendre pied, j'ai réussi puisque je vous en parle, mais j'ai compris l'utilité des bâtons de marche dans ces situations, moi qui m'étais toujours moqué de ceux qui s'en servait. C’était très demandant et le petit vieux que je suis pompait l’huile un petit peu.
Puis, deux vaillants jeunes hommes nous ont rejoints et dépassés, ils avaient, devinez quoi : des bâtons. Alors nous avons suivi leurs traces, car la piste devenait difficile à voir et nous n'avions qu'une carte assez rudimentaire. Alors, après être passé, le dos voûté,  dans un tunnel naturel d’une centaine de mètres à flanc de montagne et fait un peu d’escalade en s’agrippant à des câbles d’acier, on s'est finalement rendu à Creek Lake qui était encore partiellement pris dans les glaces.
Après un lunch bien mérité, on est redescendu. Mon fils m'a trouvé une branche tordue pour aider son vieux à moins perdre pied. Je trouve, en général, les descentes plus ardues que les montées, on a le genou moins élastique à mon âge, mais mon jeune homme lui, faisait du « free style », c’est-à-dire que plutôt qu’être trop prudent comme moi, il prenait son élan et glissait sur plusieurs mètres dans la neige, comme s’il avait eu des skis. Il n’aurait pas fallu que sa mère voit ça.  
LE VOILÀ LE FAMEUX TUNNEL AVEC LA LUMIÈRE AU BOUT DONT TOUT LE MONDE PARLE. 
On est arrivé au quai, on a attendu un peu, puis la navette nous a ramené à bon port. Et là, pour se gâter, on a été prendre une bière au magnifique Hôtel Prince of Wales. C’est une immense construction qui date de 1926. L’intérieur et l’extérieur sont en bois, dans le style chalet alpin. Il est situé sur un monticule d’où l’on a des vues fabuleuses sur le lac et les montagnes.
Le lendemain, quand j’ai raconté nos aventures à une gardienne du parc, elle nous a fait une carte, juste pour nous, sur laquelle elle a indiqué au gros marqueur noir où nous ne devions vraiment pas aller, si on voulait revenir en un seul morceau.
Les deux autres randonnées furent plus sages, mais plus stressantes. À force de voir des traces d’ours noirs et de grizzlys, on devient un peu paranoïaque. À notre troisième sortie, nous avons marché vers le lac Forum et presqu’arrivé à destination, nous avons vu des traces de pas dans la neige, mais vraiment partout sur des centaines de mètres. Je me suis dit qu’il y avait eu beaucoup de visiteurs ici. Mais, c’est en examinant les traces qu’on s’est rendu comte que c’était des traces d’ours noir. Difficile d’être plus dans le territoire de la bête, et on était au printemps, ce qui veut dire bébé ours et peut être grosse maman pas contente, en tous cas, on est bien resté un peu, mais en regardant bien autour.


À notre dernière sortie, nous avons longé le lac Waterton vers la frontière américaine. En allant, nous avons vu sur le sentier plusieurs traces de pattes de grizzlys, mais au retour, un énorme tas : rien à voir avec les petits cacas aux bleuets de nos ours noir. Et, pire encore, une mâchoire encore sanguinolente qui avait dû appartenir à un pauvre chevreuil, qui comme nous, gambadait dans les parages, il n'y a pas si longtemps. La bête ne devait pas être loin et même si on se disait qu'elle venait de bouffer un chevreuil, elle aurait peut-être eu envie, encore, d'un petit dessert. Alors, on a accéléré le pas quelque peu.



Bon les vrais malheurs s'en viennent, je vous le jure. Alors après une semaine dans cet endroit magnifique que nous n'aurions point dû quitter, nous partons, le cœur joyeux vers Banff. Alors qu’on est à moins d’une heure d'arriver, nous essuyons une ondée aussi intense que passagère, mais sans conséquence. Était-ce un présage?
Je décide de m’arrêter pour faire le plein, car souvent dans les montagnes les stations-services sont rares et là, tumeur au cerveau n’aidant pas, je regarde plus ou moins la pompe et je pèse sur le bouton vert qui, il me semble est la couleur du diesel. Erreur : je remplis le réservoir d'essence normale et je ne m'en rends même pas compte. Je paye, on repart, mais au bout de quelques kilomètres: Teuf! Teuf! Teuf! Je réussis à me rendre sur l'accotement.
À SUIVRE-L'ENFER

P.S. Vous aurez remarqué les dessins, j'imagine, et bien oui, rendons grâce au pinceau au plus haut des cieux, je m'y suis remis! Bien sûr, les dessins préliminaires ont été fait sur les lieux, mais je les ai finalisé cette semaine dans "le confort de mon foyer", comme disent les anglais.


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