mercredi 8 avril 2015

ICI ET MAINTENANT-CHOC VAGAL


 
LES DESSINS QUE VOUS VERREZ SUR CETTE PAGE SONT DE 2013, MAIS, N'AVAIENT JAMAIS ÉTÉ PUBLIÉS  ICI, ON EST DANS LE CORRIDOR AVEC ENZO, LE PREMIER MATIN, PENDANT QUE J'ATTENDS LE PASSAGE DU MÉDECIN.
Alors voilà, choc vagal mental mardi dernier. Depuis un mois j’écris et je réécris sur le premier anniversaire de ma mort annoncée, sans jamais me décider à le mettre sur mon blogue (voir le texte suivant). Si vous vous souvenez bien, mon médecin, après mes traitements, m’avait annoncé qu’il ne me restait que de 2 à 4 ans de vie. C’était en mars 2013 et nous voilà deux ans plus tard et je suis encore debout et aussi bien portant que je ne l’ai jamais été.

Donc, ça allait tellement bien que je commençais, à nouveau, à me penser éternel. En effet, j’allais de plus en plus souvent sur Facebook, j’écoutais « La Voix », j’étais même de mauvaise humeur. Je trouvais la vie stressante parce qu’il fallait que je sorte mes vidanges ou pour rien du tout. Toutes choses qu’on ne fait pas, il me semble, quand on sait qu’on a une durée de vie plutôt courte. Ce qu’on fait à la place, je ne le sais pas, je cherche encore. Certainement pas se dépasser, j’ai déjà de la difficulté à me rejoindre, imaginez me dépasser. D’ailleurs, c’est peut être pour ça qu’il y a tant de gens perdus, ils se dépassent tellement qu’ils ne savent plus ensuite où se trouve l’essentiel d’eux même.

À DROITE, LE CORPS DE DENISE BEAUCHAMP AVEC LA TÊTE D'UN HOMME
Pourquoi un choc? Parce que j’avais rendez-vous, il y a peu, pour une résonnance magnétique et il n’y a rien comme d’entrer dans un hôpital pour se rappeler de la précarité de la vie. Dans la salle d’attente, il y avait un homme de quarante ans, une jeunesse pour moi, qui me dit, presque pour se vanter, qu’il a un oligoastrocytome de grade 3, le pire dit-il, et que je sais que j’ai la même chose. Mais, je m’aperçois que lui est déjà partiellement paralysé du côté gauche, il boite, et il me dit qu’il ne peut plus conduire à cause de ses crises d’épilepsie. Voilà mon éternité disparue, évanouie, je ne suis plus, à nouveau, qu’en instance de, en attente du désastre. 

En plus, il y avait là une jeune fille de 19 ans, tumeur au cerveau elle aussi, et, les voilà, elle et l’homme, qui énumèrent la longue liste, assez semblable, de médicaments qu’ils ont à ingurgiter et que ça me rappelle une époque pas si lointaine et qui devrait revenir bientôt.
Qu’est ce qu’on fait, on se trouve mauditement chanceux ou le contraire?
LE SEUL DESSIN PAS MAUVAIS DE L'UN DE MES CHIOTS.

J’en parlais récemment avec mon intervieweuse de la radio qui me demandait si ça avait changé mon point de vue sur la vie d’être malade et de savoir que ce qu’il me reste ne sera peut être pas si long. Et bien non! Je suis et serai toujours un vieux frustré et je ne verrai de la lumière qu’à quelques secondes de la fin, je pense. Je suis né mélancolique et je mourrai comme ça. La seule chose qui m’ait rendu vraiment heureux dans la vie ce sont mes enfants : j’avais l’impression d’avoir une raison d’exister hors de moi. Quand on n’a que son propre nombril à s’occuper de, on s’ennuie vite.

La conclusion, c’est que j’ai déjà presqu’oublié l’hôpital et que je me suis remis à être moi-même et que je me demande encore et toujours pourquoi je me lève le matin. Il y a bien des jours où j’aimerais bien rester dans mon lit et être avalé par le matelas. Ce serait comme Alice et son miroir, je traverserais dans un autre monde peuplé de mes rêves pour l’éternité pendant qu’on me chercherait sur la terre sans savoir où diable, moi et mon chien (qui couche avec moi), on a bien pu passer.

Ceci dit, ne vous en faites pas pour moi, je dessine et écris beaucoup et ça me maintient dans un certain équilibre. Le texte qui suit est celui que j’avais écrit pour mon anniversaire de survie.


MADAME HACHEY AVEC SON FILS STEVE, UN COMIQUE, QUI LUI DIT D'ALLER S'ÉCLATER EN PRENANT SA DOSE DE RADIATION. MON GENRE D'HUMOUR.


ENCORE UN ANNIVERSAIRE

Depuis peu, je célèbre le début de ma mort annoncée. En effet, il y a deux ans, après mes traitements de chimio et de radio, en mars 2013, mon bon docteur B m’avait donné de deux à quatre ans à vivre. Alors voilà, je pourrais ou devrais être mort à l’heure qu’il est. Qui blâmer? Mon médecin qui malgré ses longues études n’est même pas capable de me donner le bon pronostic? Devrais-je le poursuivre, l’actionner, à la fois parce qu’il s’est trompé et pour perte de jouissance? En effet, voilà deux ans déjà que je vis avec cette fameuse épée de Damoclès au-dessus de la tête, on me l’a fait remarquer d’ailleurs, difficile de la cacher en public. Dans le métro, les gens me regardent de travers, au concert ça bloque la vue des personnes derrière moi et le pire c’est quand je passe au détecteur de métal : je ne vais plus aux États-Unis pour ça!

Trêve de coquecigrues, un peu de culture : savez-vous qui est Damoclès? Dans la mythologie grecque, Damoclès était un courtisan du roi Denys, un tyran, qu’il flattait à propos de ses richesses et de la chance qu’il avait de sa condition. Mais le roi l’invita à un banquet et au-dessus de sa place à table il accrocha une épée seulement tenue par un crin de cheval, pour montrer la précarité de sa situation. J’imagine que le jaloux a dû comprendre. Si je vous raconte tout ça, c’est que je trouve que l’analogie avec la fragilité de notre existence est un peu tirée par les cheveux, pour ne pas dire les crins. On parle plutôt ici de quelqu’un qui envie quelqu’un d’autre, dont on ne voit que la chance, en oubliant qu’un tyran à souvent comme amis de vils flagorneurs qui se débarrasseraient de lui vite fait, s’ils en avaient l’occasion.

Si vous connaissez un meilleur exemple, une image plus précise du fait que la mort peut frapper n’importe quand, dites-le moi. Au début, beaucoup de ceux à qui je parlais de ma maladie me disaient, pour me consoler: « Mais, moi, je pourrais me faire frapper par une voiture en traversant la rue tantôt ». C’est clair comme image, mais je trouve que ça manque un tantinet de subtilité et puis, bien heureusement, je n’ai perdu aucun ami depuis deux ans, ni de cette façon ou ni d’une autre.

Mon père, ce grand sage mort au combat, disait qu’on l’avait enfargé, et c’est un peu ça. On s’en va on ne sait où, ou on le sait, en ligne droite ou en zigzaguant, d’un pas assuré ou pas, selon sa personnalité et on pense que ce sera toujours comme ça. Puis un jour : pelure de banane, accident ou maladie et voilà chute brusque ou descente longue et pénible et c’est fini.
MES QUESTIONS POUR MON MÉDECIN DE L'ÉPOQUE, LA BELLE, DOUCE ET INTELLIGENTE DOCTEUR LEE.

Le pire, c’est que, souvent, on est surpris, alors que je pense qu’on devrait un peu s’y attendre. Chaque personne que j’ai connue qui a eu un cancer m’a dit la même chose : «Pourquoi moi ? ». Parce que c’est ton tour mon Pit. C’est la loterie, mais, à l’envers. On ne gagne pas on perd, mais dans ce cas-là on ne veut surtout pas que notre numéro sorte.

Ma version poétique favorite de la chose, vient d’une chanson de Brel, dans l’œuvre de qui la mort est omniprésente, un des rares avec Ferré. C’est tiré de « La ville s’endormait » et ça dit ceci :

Et la fatigue plante
Son couteau dans mes reins
Et je fais celui-là
Qui est son souverain
On m'attend quelque part
Comme on attend le roi
Mais on ne m'attend point
Je sais depuis déjà
Que l'on meurt de hasard
En allongeant les pas

C’est exactement comme ça que je me sens, souvent, abîmé, amoindri, mais, je fais comme les autres, je fais semblant, j’essaie de me convaincre de mon éternité. Et dans ce bout de chanson, il y a en résumé toute la vanité humaine. Cet être vieillissant qui souffre de plus en plus mais qui essaie encore de se convaincre de son importance, et qui se rend bien compte qu’il se fait des illusions. « Après moi le déluge! » disait, inutilement, un certain roi.
MME FULTON, QUI S'ASSOYAIT TOUJOURS AU MÊME ENDROIT ET QUI NE SEMBLAIT PAS BIEN DU TOUT.

Pour revenir à mon médecin, j’espère qu’il ne lit pas ceci car, peut-être qu’il va s’arranger, pour qu’au moins le quatre ans soit conforme à ses prévisions. Alors, avant d’oublier, je le remercie de m’avoir amené jusqu’à aujourd’hui.

Quand il m’a donné mon espérance de vie, je vous en avais parlé, toute sa gestuelle, son ton de voix semblait me dire qu’il lançait un chiffre au hasard comme ça; à moi de me débrouiller avec ça. Lui, sa job c’est d’essayer d’endiguer l’érosion de mes cellules et pour l’instant ça marche.

Alors, je vous donne rendez-vous dans deux ans pour une autre chronique, peut-être nécrologique, celle-là. Serez-vous surpris si je vous dis qu’en écrivant ces mots, j’ai comme un point au ventre et un pincement au cœur?
 
QUAND IL N'Y A PERSONNE, JE DESSINE MÊME LES PANIERS POUR LES JAQUETTES SALES. EXCITANT, NON!


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