LES DESSINS QUE VOUS VERREZ SUR CETTE PAGE SONT DE 2013, MAIS, N'AVAIENT JAMAIS ÉTÉ PUBLIÉS ICI, ON EST DANS LE CORRIDOR AVEC ENZO, LE PREMIER MATIN, PENDANT QUE J'ATTENDS LE PASSAGE DU MÉDECIN. |
Donc, ça allait tellement bien
que je commençais, à nouveau, à me penser éternel. En effet, j’allais de plus
en plus souvent sur Facebook, j’écoutais « La Voix », j’étais même de
mauvaise humeur. Je trouvais la vie stressante parce qu’il fallait que je sorte
mes vidanges ou pour rien du tout. Toutes choses qu’on ne fait pas, il me
semble, quand on sait qu’on a une durée de vie plutôt courte. Ce qu’on fait à
la place, je ne le sais pas, je cherche encore. Certainement pas se dépasser,
j’ai déjà de la difficulté à me rejoindre, imaginez me dépasser. D’ailleurs,
c’est peut être pour ça qu’il y a tant de gens perdus, ils se dépassent
tellement qu’ils ne savent plus ensuite où se trouve l’essentiel d’eux même.
À DROITE, LE CORPS DE DENISE BEAUCHAMP AVEC LA TÊTE D'UN HOMME |
Pourquoi un choc? Parce que
j’avais rendez-vous, il y a peu, pour une résonnance magnétique et il n’y a
rien comme d’entrer dans un hôpital pour se rappeler de la précarité de la vie.
Dans la salle d’attente, il y avait un homme de quarante ans, une jeunesse pour
moi, qui me dit, presque pour se vanter, qu’il a un oligoastrocytome de grade
3, le pire dit-il, et que je sais que j’ai la même chose. Mais, je m’aperçois
que lui est déjà partiellement paralysé du côté gauche, il boite, et il me dit
qu’il ne peut plus conduire à cause de ses crises d’épilepsie. Voilà mon
éternité disparue, évanouie, je ne suis plus, à nouveau, qu’en instance de, en
attente du désastre.
En plus, il y avait là une jeune
fille de 19 ans, tumeur au cerveau elle aussi, et, les voilà, elle et l’homme,
qui énumèrent la longue liste, assez semblable, de médicaments qu’ils ont à
ingurgiter et que ça me rappelle une époque pas si lointaine et qui devrait
revenir bientôt.
Qu’est ce qu’on fait, on se
trouve mauditement chanceux ou le contraire?
LE SEUL DESSIN PAS MAUVAIS DE L'UN DE MES CHIOTS. |
J’en parlais récemment avec mon
intervieweuse de la radio qui me demandait si ça avait changé mon point de vue
sur la vie d’être malade et de savoir que ce qu’il me reste ne sera peut être
pas si long. Et bien non! Je suis et serai toujours un vieux frustré et je ne
verrai de la lumière qu’à quelques secondes de la fin, je pense. Je suis né
mélancolique et je mourrai comme ça. La seule chose qui m’ait rendu vraiment
heureux dans la vie ce sont mes enfants : j’avais l’impression d’avoir une
raison d’exister hors de moi. Quand on n’a que son propre nombril à s’occuper
de, on s’ennuie vite.
La conclusion, c’est que j’ai
déjà presqu’oublié l’hôpital et que je me suis remis à être moi-même et que je
me demande encore et toujours pourquoi je me lève le matin. Il y a bien des
jours où j’aimerais bien rester dans mon lit et être avalé par le matelas. Ce
serait comme Alice et son miroir, je traverserais dans un autre monde peuplé de
mes rêves pour l’éternité pendant qu’on me chercherait sur la terre sans savoir
où diable, moi et mon chien (qui couche avec moi), on a bien pu passer.
Ceci dit, ne vous en faites pas
pour moi, je dessine et écris beaucoup et ça me maintient dans un certain
équilibre. Le texte qui suit est celui que j’avais écrit pour mon anniversaire
de survie.
MADAME HACHEY AVEC SON FILS STEVE, UN COMIQUE, QUI LUI DIT D'ALLER S'ÉCLATER EN PRENANT SA DOSE DE RADIATION. MON GENRE D'HUMOUR. |
ENCORE UN ANNIVERSAIRE
Depuis peu, je célèbre le début
de ma mort annoncée. En effet, il y a deux ans, après mes traitements de chimio
et de radio, en mars 2013, mon bon docteur B m’avait donné de deux à quatre ans
à vivre. Alors voilà, je pourrais ou devrais être mort à l’heure qu’il est. Qui
blâmer? Mon médecin qui malgré ses longues études n’est même pas capable de me
donner le bon pronostic? Devrais-je le poursuivre, l’actionner, à la fois parce
qu’il s’est trompé et pour perte de jouissance? En effet, voilà deux ans déjà
que je vis avec cette fameuse épée de Damoclès au-dessus de la tête, on me l’a
fait remarquer d’ailleurs, difficile de la cacher en public. Dans le métro, les
gens me regardent de travers, au concert ça bloque la vue des personnes
derrière moi et le pire c’est quand je passe au détecteur de métal : je ne
vais plus aux États-Unis pour ça!
Trêve de coquecigrues, un peu de
culture : savez-vous qui est Damoclès? Dans la mythologie grecque,
Damoclès était un courtisan du roi Denys, un tyran, qu’il flattait à propos de
ses richesses et de la chance qu’il avait de sa condition. Mais le roi l’invita
à un banquet et au-dessus de sa place à table il accrocha une épée seulement
tenue par un crin de cheval, pour montrer la précarité de sa situation.
J’imagine que le jaloux a dû comprendre. Si je vous raconte tout ça, c’est que
je trouve que l’analogie avec la fragilité de notre existence est un peu tirée
par les cheveux, pour ne pas dire les crins. On parle plutôt ici de quelqu’un
qui envie quelqu’un d’autre, dont on ne voit que la chance, en oubliant qu’un
tyran à souvent comme amis de vils flagorneurs qui se débarrasseraient de lui
vite fait, s’ils en avaient l’occasion.
Si vous connaissez un meilleur
exemple, une image plus précise du fait que la mort peut frapper n’importe
quand, dites-le moi. Au début, beaucoup de ceux à qui je parlais de ma maladie
me disaient, pour me consoler: « Mais, moi, je pourrais me faire
frapper par une voiture en traversant la rue tantôt ». C’est clair comme
image, mais je trouve que ça manque un tantinet de subtilité et puis, bien
heureusement, je n’ai perdu aucun ami depuis deux ans, ni de cette façon ou ni
d’une autre.
Mon père, ce grand sage mort au
combat, disait qu’on l’avait enfargé, et c’est un peu ça. On s’en va on ne sait
où, ou on le sait, en ligne droite ou en zigzaguant, d’un pas assuré ou pas,
selon sa personnalité et on pense que ce sera toujours comme ça. Puis un
jour : pelure de banane, accident ou maladie et voilà chute brusque ou descente
longue et pénible et c’est fini.
MES QUESTIONS POUR MON MÉDECIN DE L'ÉPOQUE, LA BELLE, DOUCE ET INTELLIGENTE DOCTEUR LEE. |
Le pire, c’est que, souvent, on
est surpris, alors que je pense qu’on devrait un peu s’y attendre. Chaque
personne que j’ai connue qui a eu un cancer m’a dit la même chose :
«Pourquoi moi ? ». Parce que c’est ton tour mon Pit. C’est la
loterie, mais, à l’envers. On ne gagne pas on perd, mais dans ce cas-là on ne
veut surtout pas que notre numéro sorte.
Ma version poétique favorite de la chose, vient d’une
chanson de Brel, dans l’œuvre de qui la mort est omniprésente, un des rares
avec Ferré. C’est tiré de « La ville s’endormait » et ça dit
ceci :
Et la fatigue
plante
Son couteau
dans mes reins
Et je fais
celui-là
Qui est son
souverain
On m'attend
quelque part
Comme on attend
le roi
Mais on ne
m'attend point
Je sais depuis
déjà
Que l'on meurt
de hasard
En allongeant
les pas
C’est exactement comme ça que je me sens, souvent,
abîmé, amoindri, mais, je fais comme les autres, je fais semblant, j’essaie de
me convaincre de mon éternité. Et dans ce bout de chanson, il y a en résumé
toute la vanité humaine. Cet être vieillissant qui souffre de plus en plus mais
qui essaie encore de se convaincre de son importance, et qui se rend bien
compte qu’il se fait des illusions. « Après moi le déluge! » disait,
inutilement, un certain roi.
MME FULTON, QUI S'ASSOYAIT TOUJOURS AU MÊME ENDROIT ET QUI NE SEMBLAIT PAS BIEN DU TOUT. |
Pour revenir à mon médecin,
j’espère qu’il ne lit pas ceci car, peut-être qu’il va s’arranger, pour qu’au
moins le quatre ans soit conforme à ses prévisions. Alors, avant d’oublier, je
le remercie de m’avoir amené jusqu’à aujourd’hui.
Quand il m’a donné mon espérance
de vie, je vous en avais parlé, toute sa gestuelle, son ton de voix semblait me
dire qu’il lançait un chiffre au hasard comme ça; à moi de me débrouiller avec
ça. Lui, sa job c’est d’essayer d’endiguer l’érosion de mes cellules et pour l’instant
ça marche.
Alors, je vous donne rendez-vous
dans deux ans pour une autre chronique, peut-être nécrologique, celle-là.
Serez-vous surpris si je vous dis qu’en écrivant ces mots, j’ai comme un point
au ventre et un pincement au cœur?
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