LE MÉTRO DE NEW YORK
En 1988, à l’âge
de 35 ans, ma carrière allait assez bien, mais il fallait que je me fasse
connaître un peu plus du côté de la grosse pomme. J’y avais déjà été lors de
courts séjours pour montrer mes œuvres, mais ce n’était pas assez. C’est alors,
que j’ai eu l’idée d’aller y passer le mois de juillet et mon excuse, pour ces
chers douaniers américains si scrupuleux, était que j’allais y prendre un cour
de dessin de modèle vivant au School of Visual Arts. Un seul petit cours par
semaine me laissait amplement le temps de faire plein d’autres choses.
Ma grande amie
Marie Lessard, illustratrice, y étudiait aussi, et deux amis à elle, m’ont
gentiment loué un lit dans leur appartement à Brooklyn. Le beau côté d’avoir
des colocs à New York, c’est qu’ils ne sont jamais là, sauf la nuit et
encore : la ville est plus intéressante, j’imagine. Des trois, je pense
que c’est moi qui étais le plus souvent dans notre garçonnière.
Mais, qui dit
Brooklyn, dit métro, si je voulais aller à Manhattan, je n’avais pas le choix
que de le prendre. J’avais été plusieurs fois à New York mais, le métro me
terrorisait. Chaque
fois que je passais près d’une entrée, il me semblait entendre les cris des
victimes que Satan y faisait brûler. Cette odeur de roussi qu’exhalent les
grilles d’aération n’est sûrement rien d’autre que l’odeur de leur peau qui
brûle.
Plus sérieusement,
j’étais certain que quelque malfrat m’attendait au premier guichet souterrain
pour me faire payer cher la mauvaise idée que j’avais eu d’y descendre. En plus
qu’il faut comprendre comment ça marche, où payer et comment et, surtout,
déchiffrer les arcanes de la carte représentant les stations. À cette époque, à
Montréal, il y avait à peine une vingtaine de stations, ici, un million,
minimum. J’avais l’impression d’avoir à accomplir les 12 travaux d’Hercule afin
d’aller du point A au point B.
En plus, j’avais
l’excuse d’adorer marcher, parcourir Manhattan d’un bout à l’autre même si mes pieds et
mes genoux ne sont pas toujours d’accord, c’est le pied. Même que parfois c’est
la douleur de la brûlure sous mes chaussures qui me fait lever la jambe et
faire un autre pas.
Aussi, quand on est
pressé quoi de plus excitant qu’une course folle en taxi le long de ces
interminables avenues à sens unique. Avec un chauffeur à l’anglais
incompréhensible ou un Haïtien que vous surprenez en lui parlant français et
qui sait savamment tricoter en klaxonnant entre les voitures : ça vaut
n’importe quel manège de n’importe quel parc d’attraction, ce n’est pas plus
cher et, au moins, ça vous emmène quelque part.
Malheureusement,
cette fois-ci, je n’avais pas le choix. Je me voyais mal traverser le Brooklyn
bridge à pied à chaque matin, aussi agréable que ça puisse être. Allez, un peu
de courage. J’ai quitté l’appartement et en mettant le pied dans la rue une
voiture munie de deux méga speakers sur la banquette arrière m’a coupé en
crachant son percutant hip-hop. En tournant le coin de la rue une odeur d’urine
m’a chatouillé les narines et j’ai aperçu quelques sans-abris couchés dans les
ordures. Finalement, j’y suis arrivé, station Hoyt-Shermerhorn. J’ai descendu lentement les marches
gommées et collantes vers les guichets.
Suspense! Mais, ici,
vous allez comprendre ma grande intelligence, car j’avais amené avec moi mon
coloc Jim qui avait moult fois vaincu l’hydre à sept têtes et résolu l’énigme
du Sphinx. Ce fut assez facile, mais comme je fais partie de ces gens qui
comprennent vite, mais à qui il faut expliquer longtemps, j’avais, quand même
une petite angoisse pour le retour en solo.
Mais, je me sentais
tellement « hot » d’être là, que j’étais prêt à n’importe quoi.
Finalement, je n’ai jamais eu de problème dans le « subway », sauf
une fois et dans ma tête. Car, un soir où je n’étais pas attentif, j’ai dépassé
la station où je devais descendre et je me suis retrouvé absolument le seul
blanc dans une mer de gens à la peau noire. Bien sûr, il ne s’est rien passé,
mais pour le petit blanc de Villeray qui vivait dans une ville toute blanche à
l’époque, ce fut vraiment un choc.
Et le New York
transit est devenu mon mode de transport favori, c’est comme un monde sous le monde, une
tour de Babel allongée, interminable où j’avais rendez-vous avec toutes les
ethnies du monde et même quelques blancs pâles comme moi. Pour un illustrateur,
c’était le paradis!
Et ce fut, aussi,
le début d’une longue série de portraits. Il est très facile de dessiner dans
le métro, car, fait étrange, les gens, même s’ils sont assis face à face ne se
regardent presque jamais. En plus, ils ne s’attendent vraiment pas à ce que
leur voisin, avec son petit cahier, soit en train de les portraiturer.
Comme j’ai été
montré mon portfolio un peu partout à Manhattan j’ai eu le plaisir de descendre
en enfer souvent. Quel métro magnifique, rustique, grinçant, chargé d’histoire
et contrairement à ici, il est vraiment utilisé par toutes les couches de
la société, du banquier au sans
abri qui quête d’un bout à l’autre de la rame.
P.S. Petit détail technique : le métro de New York est différent du nôtre, en ceci que les gens sont assis face à face, donc il est plus facile de les dessiner et d’avoir plusieurs modèles potentiels sur la banquette devant soi.
Aussi, tous ces dessins ont d’abord été faits à la mine dans le métro, puis coloriés chez moi, à mon retour. J’ai d’abord commencé par la fin, je ne sais pas pourquoi, et je voulais tout faire dans cette technique à la ligne et à l’encre, mais je me suis ennuyé assez vite et par la suite, je me suis amusé à diversifier mes approches. Il y a un peu de tout : de l’encre, de la gouache et de l’aquarelle
Vous remarquerez, à gauche de la quatrième série d’images, le portrait de Monique, ma blonde de l’époque et, à quelques images de la fin, un portrait de mon ami Brett Barndt, qui était aussi mon co-loc à Brooklyn et qui se retrouvera, par hasard, un siècle plus tard sur mes dessins de Montréal, que j’ai publiés il y a peu. Ici, il lit un Maigret.
Salut Normand, vraiment une très belle série de dessins. Très inspirant. Je dessine aussi, dans mes loisirs. Tu peux voir : http://www.davemarcheterre.com/dessins.html. Au plaisir et bonnes continuations.
RépondreSupprimerSalut Dave, à force de regarder tes photos, j'ai fini par faire le lien avec entre ta tête et les souvenirs de toi qui me reste. Beau site merci de me l'avoir fait connaître.
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