jeudi 23 avril 2015

ICI ET MAINTENANT-VISITE (PRESQUE) HEUREUSE CHEZ MON DOC DU CERVEAU

Ça y est, j’ai vu mon médecin ce matin, ça va mal, mais, vous me connaissez, c’est de l’humour. Ça va mal, parce qu’il vient de me dire que plein de ses patients « toffaient » mon genre de maladie à peu près dix ans. Quand je lui ai dit qu’il m’avait prédit de deux à quatre ans, il y a deux ans, il a murmuré, surpris : « Moi, j’ai dit ça? » Je vous ai déjà confié qu’il ne semblait pas vraiment croire à ses propres pronostics à l’époque.

Alors voilà, heureux problème, si je puis dire. Malheureusement, je fais beaucoup moins pitié qu’avant, il y a des milliers de personnes qui vont mourir avant moi, certains à la douzaine sur de vieux rafiots quelque part en mer, quelle injustice. Avec le peu de temps qu’il me restait, j’avais décidé de ne plus aller chez le dentiste, je me disais à quoi ça sert de payer pour mourir avec de belles dents surtout que les miennes sont déjà un peu moches et je ne fréquentais plus mon médecin de famille non plus, heureux que j’étais de me passer de son toucher rectal. Alors, je fais quoi, pas une vie normale : pitié!

Et puis le bon doc m’a dit : « J’espère que vous n’avez pas dépensé tout votre argent à cause de mes pronostics, plusieurs personnes qui pensent s’en aller bientôt font ça et se retrouvent avec pas grand chose. » Alors, voilà, moi j’ai tout dépensé, je vivais une vie échevelée, je buvais une bière par semaine, j’allais au resto une fois aux deux semaines, je prenais le métro une fois par semaine, la folie.

Et puis, je me suis mis à manger mal, moi le super orthodoxe, surtout que je n’avais plus « kekun » pour surveiller et critiquer tout ce que je portais à ma bouche. Alors, croissants et chocolatines, des truffes au chocolat, même des chips…une fois par mois, la folie et du beurre sur mon pain (mais, au restaurant seulement), dément!

Finalement, je vais organiser une levée de fond pour subvenir à mes besoins. Avant, je faisais pitié parce que j’allais mourir, maintenant, c’est que je vais vivre plus longtemps mais dans la dèche. Ma belle-fille, qui, dans son adolescence ne m’appréciait pas outre mesure, me répétait sans cesse que j’allais terminer ma vie dans la rue. Autre anecdote à son sujet qui m’a fait tellement rire aujourd’hui, c’est que sa mère, pour mon anniversaire, lui avait demandé de m’écrire une carte de souhait. Elle l’a fait, mais sur la carte il y avait une tête de mort et en ouvrant la carte on pouvait lire « CRÈVE ». J’en pleure de rire, encore, à chaque fois que j’y pense. Elle est adorable aujourd’hui.

Plus sérieusement, côté financier, il ne faut pas s’en faire pour moi, de l’argent j’en ai, j’étais illustrateur après tout, je faisais presqu’autant d’argent que ma dentiste. Et maintenant qu’il me reste plus de temps à vivre, je pourrais même me faire une blonde, et qui sait, la rendre heureuse celle-là, ce serait différent. En plus, s’il en reste à la fin, je pourrais lui laisser un petit magot. Alors, j’attends les candidatures.

P.S. J’ai une autre anecdote sur ma belle-fille que je dois raconter, tellement je la trouve drôle elle aussi. Il y a un centre multiculturel à Boucherville où elle suivait des cours de danse et je devais aller la chercher après son cours. Elle devait avoir 12 ou 13 ans, le bel âge. Elle s’attendait, bien sûr, à ce que je vienne la chercher en bagnole, comme tout bon parent normal. Mais, c’est mal me connaître, méchant beau-père que je suis. Nous avions un vieux tandem, du style pneus ballounes, pas de vitesse et violet en plus. Alors, j’arrive au centre et je l’attends, elle sort et quand elle me voit avec ma riguine, elle me traite un peu de tous les noms, elle a du caractère. Alors, je fais mine de m’en aller, qu’elle marche après tout. Finalement elle comprendra qu’elle n’avait pas le choix et elle embarquera. Mais, vous savez maintenant pourquoi elle me donnait des cartes de souhaits avec une tête de mort.

P.S. du P.S. La vérité, c’est que je pleure depuis une heure, un peu parce que je pense à mes enfants, ça me fait toujours ça, mais, c’est aussi comme si on venait de m’enlever, quoi au juste, ah oui, une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je fais quoi, moi, maintenant? Je le sais, j’attends que mes enfants me fassent des petits enfants pour que je puisse les promener, un jour, en tandem mauve. Au travail les cocos!




lundi 20 avril 2015

VOYAGE À PARIS ET LONDRES / VICE-VERSA

La raison de cette publication est, d'abord, de vous présenter une série de dessins faits et postés de Paris et Londres. Ça se veut une sorte de roman graphique du voyage d'une vingtaine de jours, chaque image étant liée à la précédente. Je vous montre ici une version réduite de la chose pour que vous puissiez vous en faire une meilleure idée. Il y a 45 pages en tout.



PARTIE 1- PARIS

Pour ceux qui ne la connaissent pas, la revue Vice-versa était une revue bien vue dans les années ’90. Elle était née du désir de certains intellectuels italiens de créer quelque chose qui parlerait de Montréal et de sa multi-culturalité. Le directeur Lamberto Tassinari, homme profondément intelligent et sympathique que j’avais surnommé affectueusement Monsieur le Comte, car il avait tout d’un noble italien : il était grand, avait un port de tête majestueux couronné d’une tignasse flamboyante et… des ulcères d’estomac. Avec lui collaborait Fulvio Caccia dont le frère, Gianni, était le directeur artistique de la revue.
LES HUIT PROCHAINES IMAGES FURENT PUBLIÉES DANS LA REVUE VICE-VERSA. COMME VOUS LE CONSTATEREZ, FORTE INFLUENCE NÉO-EXPRESSIONISTE.

À GAUCHE, UNE PAGE COUVERTURE SUR LA NOURRITURE.

C’était une revue grand format, assez unique et originale et grâce au génie de Gianni, visuellement magnifique. Beaucoup d’illustrateurs et illustratrices de l’époque ont travaillé pour lui, mais je m’empresse de préciser, seulement ceux qui étaient capables de faire fi de ses crises de prima dona. Il était hyper sensible, un peu paranoïaque et s’il n’aimait pas un dessin, il le disait parfois, un peu trop directement.

DEUX ILLUSTRATIONS SUR PAOLO CONTE.

Pour ma part, une fois que j’ai compris le personnage, je l’ai adoré et je suis devenu un peu son ami et beaucoup son bouche-trou : quand il y avait un espace à combler entre deux blocs de texte, c’est souvent à moi qu’il faisait appel. On était très peu payés pour la quantité  de dessins et pour le temps qu’on y passait, mais on était jeunes et à l’âge des grandes explorations graphiques. On était entièrement libres si ce qu’on faisait plaisait à celui que j’appelais, à la blague, Johny Chassé. Un autre des frères Caccia travaillait pour le gouvernement italien, dans l’importation de nourriture et j’ai déjà été payé en fromage Parmigiano Reggiano, un gros morceau comme je n’en avais jamais vu avant.




Tout ça pour vous amener au cœur de mon propos : une exposition au Centre Culturel du Canada à Paris. Faisaient partie du voyage cinq illustrateurs dont je vous reparlerai, le directeur de la revue, le directeur artistique Gianni et divers auteurs dont encore, Fulvio. Imaginez combien ça a dû coûter à notre gouvernement tout ça! Nous étions au début novembre, en 1987 et je me souviens encore que pour aller à l’aéroport, on était monté à bord d’une immense limousine, une Chevrolet modifiée. Aucune idée d’où elle sortait,  ni combien elle avait coûté, mais je ne crois pas que ça arriverait aujourd’hui.Voyage sans encombre avec une petite bouteille de rouge et dodo.

JE VOUS METS CES QUELQUES PAGES TIRÉES DE MON JOURNAL PERSONNEL QUE VOUS N'AVEZ PAS NÉCESSAIREMENT À LIRE, CE NE SONT QUE DES DÉTAILS DE MON QUOTIDIEN LORS DE CE VOYAGE. RIEN DE BIEN PROFOND. C'EST SURTOUT POUR COMPLÉTER LA DÉMARCHE QUE JE LES MONTRE, SURTOUT QUE MON ÉCRITURE EST SOUVENT ILLISIBLE, MÊME POUR MOI.



DANIEL SYLVESTRE ET LES NOMS DE QUELQUES PARTICIPANTS.

Autre détail, à l’arrivée à Paris, il a fallu attendre les œuvres démesurées de ceux que se prenaient pour des artistes. On n’expose pas à Paris tous les jours, alors on sort ses gros canons. Moi, j’avais appris lorsque j’avais montré de grandes toiles à New York, à être plus humble et puis, j’ai compris au fil du temps, qu’exposer, en général, ne sert pas à vendre, mais à bâtir un CV pour faire des demandes de bourses, pour faire d’autres expositions, pour faire d’autres demandes. Comme un serpent qui se mord la queue et puis c’est chiant remplir ces papiers là! J’ai toujours préféré faire des jobs d’illustration plates mais payantes, plutôt que de me taper la rédaction d’un texte pseudo intellectuel sur ma démarche artistique, surtout que je n’en ai pas.

En arrivant à l’hôtel Aston, rue du Faubourg, à Montmartre, la jeune fille au comptoir  est, bien sûr, désagréable: « Bienvenue à Paris ». Pendant que les autres se couchent, je vais m’acheter des timbres, j’appelle le DA de la revue Lire et je magazine un billet pour Londres. Je désire profiter de mon passage en Europe pour faire des contacts professionnels.

 Le lendemain, on a rencontré les gens du Centre Culturel Canadien à Paris dans un immeuble de style classique, bien situé au cœur de Paris rue de Constantine face à l’Esplanade des Invalides. Il y a pire pour exposer, n’est-ce pas ? Et toutes dépenses payées. Mais, comme Londres était la Mecque de l’illustration et que j’avais déjà traversé la grande flaque, je voulais en profiter, surtout que mon ami Richard Parent y était déjà et me promettait de m’aider.


PREMIERS DESSINS UN PEU MALHABILES, IL FAUT TOUJOURS QUE JE ME RÉCHAUFFE AVANT DE DEVENIR UN PEU BON. QUELQUES BONS MOTS DE DANIEL, QUI NOUS DIT QUE "NASLUND EST UN ERSATZ DE LAFLEUR". IL A FALLU QU'IL M'EXPLIQUE, PUIS "LA TRAVERSÉE DES APPARENCES" ET ANOUSHKA QUI NOUS APPRENDS, GAIEMENT, QU'ELLE A FIUOUSÉ.
SUR L'AVION, PUIS, L'ATTENTE À L'AÉROPORT, À L'ARRIVÉE, POUR LES OUVRES SURDIMENSIONNÉES DE CERTAINS ARTISTES, PUIS, LE PREMIER PETIT-DÉJEUNER. 
YVES DU CENTRE CULTUREL ET CELLE QUE J'APPELAIS L'ÉVANESCENTE CAMILLA ET SUR LA TABLE UN DESSIN DE STÉPHANE DAIGLE, JE PENSE. JE DESSINAIS AVEC UNE PLUME MONT-BLANC ET, AVEC LE PORTRAIT DE KAMILA, J'AI COMMENCÉ À TENIR MA PLUME INVERSÉE, CE QUI DONNE UNE LIGNE PLUS FINE. J'AVAIS APPRIS CE TRUC DE ALLAN COBER, MON IDOLE DE TOUJOURS.
"LA POULE AU POT", C'EST LÀ QU'ON S'EST RETROUVÉ BIEN SOUVENT, UN BOUI-BOUI QUI COMME BEAUCOUP DE RESTOS À PARIS SENT LES VIEUX CHAMPIGNONS POURRIS. LA PATRONNE VOULAIT AVOIR MON DESSIN, MAIS, PAS QUESTION, ÇA AURAIT COUPÉ MA SÉRIE.


 À SUIVRE

mercredi 8 avril 2015

ICI ET MAINTENANT-CHOC VAGAL


 
LES DESSINS QUE VOUS VERREZ SUR CETTE PAGE SONT DE 2013, MAIS, N'AVAIENT JAMAIS ÉTÉ PUBLIÉS  ICI, ON EST DANS LE CORRIDOR AVEC ENZO, LE PREMIER MATIN, PENDANT QUE J'ATTENDS LE PASSAGE DU MÉDECIN.
Alors voilà, choc vagal mental mardi dernier. Depuis un mois j’écris et je réécris sur le premier anniversaire de ma mort annoncée, sans jamais me décider à le mettre sur mon blogue (voir le texte suivant). Si vous vous souvenez bien, mon médecin, après mes traitements, m’avait annoncé qu’il ne me restait que de 2 à 4 ans de vie. C’était en mars 2013 et nous voilà deux ans plus tard et je suis encore debout et aussi bien portant que je ne l’ai jamais été.

Donc, ça allait tellement bien que je commençais, à nouveau, à me penser éternel. En effet, j’allais de plus en plus souvent sur Facebook, j’écoutais « La Voix », j’étais même de mauvaise humeur. Je trouvais la vie stressante parce qu’il fallait que je sorte mes vidanges ou pour rien du tout. Toutes choses qu’on ne fait pas, il me semble, quand on sait qu’on a une durée de vie plutôt courte. Ce qu’on fait à la place, je ne le sais pas, je cherche encore. Certainement pas se dépasser, j’ai déjà de la difficulté à me rejoindre, imaginez me dépasser. D’ailleurs, c’est peut être pour ça qu’il y a tant de gens perdus, ils se dépassent tellement qu’ils ne savent plus ensuite où se trouve l’essentiel d’eux même.

À DROITE, LE CORPS DE DENISE BEAUCHAMP AVEC LA TÊTE D'UN HOMME
Pourquoi un choc? Parce que j’avais rendez-vous, il y a peu, pour une résonnance magnétique et il n’y a rien comme d’entrer dans un hôpital pour se rappeler de la précarité de la vie. Dans la salle d’attente, il y avait un homme de quarante ans, une jeunesse pour moi, qui me dit, presque pour se vanter, qu’il a un oligoastrocytome de grade 3, le pire dit-il, et que je sais que j’ai la même chose. Mais, je m’aperçois que lui est déjà partiellement paralysé du côté gauche, il boite, et il me dit qu’il ne peut plus conduire à cause de ses crises d’épilepsie. Voilà mon éternité disparue, évanouie, je ne suis plus, à nouveau, qu’en instance de, en attente du désastre. 

En plus, il y avait là une jeune fille de 19 ans, tumeur au cerveau elle aussi, et, les voilà, elle et l’homme, qui énumèrent la longue liste, assez semblable, de médicaments qu’ils ont à ingurgiter et que ça me rappelle une époque pas si lointaine et qui devrait revenir bientôt.
Qu’est ce qu’on fait, on se trouve mauditement chanceux ou le contraire?
LE SEUL DESSIN PAS MAUVAIS DE L'UN DE MES CHIOTS.

J’en parlais récemment avec mon intervieweuse de la radio qui me demandait si ça avait changé mon point de vue sur la vie d’être malade et de savoir que ce qu’il me reste ne sera peut être pas si long. Et bien non! Je suis et serai toujours un vieux frustré et je ne verrai de la lumière qu’à quelques secondes de la fin, je pense. Je suis né mélancolique et je mourrai comme ça. La seule chose qui m’ait rendu vraiment heureux dans la vie ce sont mes enfants : j’avais l’impression d’avoir une raison d’exister hors de moi. Quand on n’a que son propre nombril à s’occuper de, on s’ennuie vite.

La conclusion, c’est que j’ai déjà presqu’oublié l’hôpital et que je me suis remis à être moi-même et que je me demande encore et toujours pourquoi je me lève le matin. Il y a bien des jours où j’aimerais bien rester dans mon lit et être avalé par le matelas. Ce serait comme Alice et son miroir, je traverserais dans un autre monde peuplé de mes rêves pour l’éternité pendant qu’on me chercherait sur la terre sans savoir où diable, moi et mon chien (qui couche avec moi), on a bien pu passer.

Ceci dit, ne vous en faites pas pour moi, je dessine et écris beaucoup et ça me maintient dans un certain équilibre. Le texte qui suit est celui que j’avais écrit pour mon anniversaire de survie.


MADAME HACHEY AVEC SON FILS STEVE, UN COMIQUE, QUI LUI DIT D'ALLER S'ÉCLATER EN PRENANT SA DOSE DE RADIATION. MON GENRE D'HUMOUR.


ENCORE UN ANNIVERSAIRE

Depuis peu, je célèbre le début de ma mort annoncée. En effet, il y a deux ans, après mes traitements de chimio et de radio, en mars 2013, mon bon docteur B m’avait donné de deux à quatre ans à vivre. Alors voilà, je pourrais ou devrais être mort à l’heure qu’il est. Qui blâmer? Mon médecin qui malgré ses longues études n’est même pas capable de me donner le bon pronostic? Devrais-je le poursuivre, l’actionner, à la fois parce qu’il s’est trompé et pour perte de jouissance? En effet, voilà deux ans déjà que je vis avec cette fameuse épée de Damoclès au-dessus de la tête, on me l’a fait remarquer d’ailleurs, difficile de la cacher en public. Dans le métro, les gens me regardent de travers, au concert ça bloque la vue des personnes derrière moi et le pire c’est quand je passe au détecteur de métal : je ne vais plus aux États-Unis pour ça!

Trêve de coquecigrues, un peu de culture : savez-vous qui est Damoclès? Dans la mythologie grecque, Damoclès était un courtisan du roi Denys, un tyran, qu’il flattait à propos de ses richesses et de la chance qu’il avait de sa condition. Mais le roi l’invita à un banquet et au-dessus de sa place à table il accrocha une épée seulement tenue par un crin de cheval, pour montrer la précarité de sa situation. J’imagine que le jaloux a dû comprendre. Si je vous raconte tout ça, c’est que je trouve que l’analogie avec la fragilité de notre existence est un peu tirée par les cheveux, pour ne pas dire les crins. On parle plutôt ici de quelqu’un qui envie quelqu’un d’autre, dont on ne voit que la chance, en oubliant qu’un tyran à souvent comme amis de vils flagorneurs qui se débarrasseraient de lui vite fait, s’ils en avaient l’occasion.

Si vous connaissez un meilleur exemple, une image plus précise du fait que la mort peut frapper n’importe quand, dites-le moi. Au début, beaucoup de ceux à qui je parlais de ma maladie me disaient, pour me consoler: « Mais, moi, je pourrais me faire frapper par une voiture en traversant la rue tantôt ». C’est clair comme image, mais je trouve que ça manque un tantinet de subtilité et puis, bien heureusement, je n’ai perdu aucun ami depuis deux ans, ni de cette façon ou ni d’une autre.

Mon père, ce grand sage mort au combat, disait qu’on l’avait enfargé, et c’est un peu ça. On s’en va on ne sait où, ou on le sait, en ligne droite ou en zigzaguant, d’un pas assuré ou pas, selon sa personnalité et on pense que ce sera toujours comme ça. Puis un jour : pelure de banane, accident ou maladie et voilà chute brusque ou descente longue et pénible et c’est fini.
MES QUESTIONS POUR MON MÉDECIN DE L'ÉPOQUE, LA BELLE, DOUCE ET INTELLIGENTE DOCTEUR LEE.

Le pire, c’est que, souvent, on est surpris, alors que je pense qu’on devrait un peu s’y attendre. Chaque personne que j’ai connue qui a eu un cancer m’a dit la même chose : «Pourquoi moi ? ». Parce que c’est ton tour mon Pit. C’est la loterie, mais, à l’envers. On ne gagne pas on perd, mais dans ce cas-là on ne veut surtout pas que notre numéro sorte.

Ma version poétique favorite de la chose, vient d’une chanson de Brel, dans l’œuvre de qui la mort est omniprésente, un des rares avec Ferré. C’est tiré de « La ville s’endormait » et ça dit ceci :

Et la fatigue plante
Son couteau dans mes reins
Et je fais celui-là
Qui est son souverain
On m'attend quelque part
Comme on attend le roi
Mais on ne m'attend point
Je sais depuis déjà
Que l'on meurt de hasard
En allongeant les pas

C’est exactement comme ça que je me sens, souvent, abîmé, amoindri, mais, je fais comme les autres, je fais semblant, j’essaie de me convaincre de mon éternité. Et dans ce bout de chanson, il y a en résumé toute la vanité humaine. Cet être vieillissant qui souffre de plus en plus mais qui essaie encore de se convaincre de son importance, et qui se rend bien compte qu’il se fait des illusions. « Après moi le déluge! » disait, inutilement, un certain roi.
MME FULTON, QUI S'ASSOYAIT TOUJOURS AU MÊME ENDROIT ET QUI NE SEMBLAIT PAS BIEN DU TOUT.

Pour revenir à mon médecin, j’espère qu’il ne lit pas ceci car, peut-être qu’il va s’arranger, pour qu’au moins le quatre ans soit conforme à ses prévisions. Alors, avant d’oublier, je le remercie de m’avoir amené jusqu’à aujourd’hui.

Quand il m’a donné mon espérance de vie, je vous en avais parlé, toute sa gestuelle, son ton de voix semblait me dire qu’il lançait un chiffre au hasard comme ça; à moi de me débrouiller avec ça. Lui, sa job c’est d’essayer d’endiguer l’érosion de mes cellules et pour l’instant ça marche.

Alors, je vous donne rendez-vous dans deux ans pour une autre chronique, peut-être nécrologique, celle-là. Serez-vous surpris si je vous dis qu’en écrivant ces mots, j’ai comme un point au ventre et un pincement au cœur?
 
QUAND IL N'Y A PERSONNE, JE DESSINE MÊME LES PANIERS POUR LES JAQUETTES SALES. EXCITANT, NON!