mardi 15 avril 2014

Mon père 5 (la fin)

Mon père 5 (la fin)                                                        
La première fois qu’il est entré à l’hôpital Santa-Cabrini, c’était le 3 février 1999 et grâce aux médicaments qu’on lui a administrés, il a cessé de souffrir mais il avait d’étranges hallucinations; il voyait des fils flotter devant ses yeux, des araignées ou bien il essayait d’enlever des mousses imaginaires sur lui-même. Puis ce furent les parades; il voyait sur les murs des personnages défiler, des clowns, des gens à motocyclettes, des fanfares. Il nous disait: « Regarde, tu les vois pas? »

Il n’a pas fait de chimio, il était déjà trop tard, j’imagine, mais de la radio, qui le brûlait disait-il. Il était aussi claustrophobe, chose que j’ignorais, alors il trouvait très difficile d'être mis dans le grand tunnel pour les résonnances magnétiques.

Moi, je viens d’en passer une et je trouve ça au contraire très relaxant, malgré les bruits percutants de l’appareil. On n’a qu’à s’imaginer qu’on est dans une discothèque, un samedi soir. Le beat change régulièrement, c’est très entraînant, il suffit de ne pas se mettre à danser, les techniciennes n’apprécieraient pas. Par contre, ce qui est moins agréable, c’est quand le résultat est positif et qu’on vous dit que la tumeur s’est remise à danser dans votre tête, comme c’est  mon cas. Je dois passer une autre IRM cette semaine pour confirmer que la bibitte s’est bien remise au boulot.

Mon père avait un voisin de lit avec lequel il s’entendait bien, un monsieur Shearing que j’ai vu dépérir à chacune de mes visites et comme pour mon père, le processus a été tellement lent et long qu’on en vient à ne plus croire que la mort viendra. Comme si le malade allait s’accrocher éternellement, même muet, même amaigri. Et pourtant un jour, on arrive et il y a quelqu’un d’autre dans le lit d’à coté.

Ce doit être un drôle de métier qu’être infirmière en soin palliatif et de savoir que tout ce qu’on fait ne sert qu’à retarder un peu plus l’échéance. Quand il avait encore toute sa tête, mon père nous disait : « Chu tanné! ». Qu’aurait-il fait si on lui avait offert le choix entre partir plus vite ou souffrir encore?

Il prétendait avoir vu son voisin emporté par des ombres la nuit de sa mort. Il avait toute sa tête à ce moment là et il nous a dit qu’il avait eu très peur.

À mon souvenir, je n'ai jamais parlé de SA mort avec lui, j'avais peut être peur de sa réaction, par contre ma soeur lui en parlé quelques fois: ça le mettait en colère mais il oubliait aussitôt.

Après un peu plus d’un an de répit, retour à Santa-Cabrini le 18 avril 2000. Il aurait bien aimé revenir chez lui terminer ses jours, mais sa conjointe de l’époque ne pouvait s’imaginer s’occuper de lui, même avec de l’aide. En plus, il ne l’aimait plus tellement et il était plutôt pas fin avec elle. Et cet étrange homme a laissé autant d'argent à ma mère à qui il ne parlait plus depuis vingt ans qu'à sa nouvelle conjointe.

Puis vint la paranoïa; on le gardait à l’hôpital contre son gré, disait-il. Il y avait des gens au sous-sol qui préparaient des armes de guerre, il fallait qu’il parte. Essayer de raisonner cet homme était plutôt difficile. Il nous regardait avec cet air colérique dont je vous ai parlé et nous ordonnait de l’aider à partir. Il a même essayé seul, une nuit, mais un infirmier a vu une de ses pantoufles dans l’escalier qui pointait dans la direction vers laquelle il allait. On l’a rattrapé et on a dû le mettre en contention.

Petite histoire cocasse, disons; un soir qu’il voulait s’en aller, ma sœur Lucie l’a amené dans le corridor avec sa marchette en lui faisant croire qu’elle l’aidait à sortir. Comme l’édifice était en rotonde, qu’on aille dans n’importe quelle direction, on revenait toujours à son point de départ. Vous comprendrez que mon père était confus, mais quand il est repassé devant sa chambre il a bien compris qu’il s’était fait avoir. Pas content le monsieur, mais finalement il est retourné dans sa chambre, épuisé.

Par contre, sa maladie nous a rapproché… un tantinet. J'allais le voir régulièrement, il ne s'est jamais ouvert à moi, il n'était pas comme ça, mais dans sa position de prostration, je pouvais lui donner l'affection que j'aurais aimé qu'il me donne. Je lui caressais les cheveux, je l'embrassais sur le front et je l’aidais de mon mieux. Il avait de très belles mains et la peau très douce.

Mon père peu avant de mourir a rêvé à une grande maison, sur une montagne, belle image, je trouve. Je me souviens de l’avoir remercié d’avoir été là pour moi, car il m’avait toujours aidé et appuyé dans mon choix de carrière et mes études. Il était assis dans sa chaise avec ce regard terrible qu’il a sur le dessin que vous voyez ici. Quand j’ai fini ma phrase, je l’ai vu frémir, j’avais l’impression qu’il allait se lever et m’assassiner, comme s’il m’en voulait de vivre alors que lui disparaissait.

J’ai eu un autre oncle, comme ça, qui avait un cancer; j’étais ado et quand je lui parlais de mes projets de vie, je sentais dans ses réponses une sorte de colère et de frustration, comme si le personnage affable que j’avais connu n’existait plus. La sérénité et l’acceptation de sa propre disparition ne semblent venir aux mourants qu’aux derniers instants.

Puis, JP est passé de la nourriture normale d’hôpital au « Ensure », c’était presque devenu un running gag; tout le monde lui demandait s’il en avait pris, comme si ça allait lui sauver la vie. Puis ce furent les intraveineuses et le silence. On l’avait mis sur un matelas gonflable, il avait des plaies de lit et très mal au coccyx, en plus qu’il était grand et que ses pieds dépassaient au bout du lit, ça devait être très pénible. À cette étape de son parcours, vers la fin, les seuls sons qui sortaient de sa bouche étaient des grognements de douleur quand les infirmières le déplaçaient sur son lit.



Il avait perdu la foi et ne voulait rien entendre des aumôniers de l’hôpital. Il disait « Tu t’en vas dans la vie, pis on te donne une jambette». Il disait aussi qu’il s’était fait avoir. Par qui, par quoi, je ne sais pas. Par la vie, par la mort, j’imagine. Je l’ai dit, on se pense tous éternel, même si on sait qu’il y a une échéance, elle nous paraît toujours tellement lointaine que c’est comme si elle n’existait pas, on n’y pense même pas, pris dans la course comme on l’est.

Même moi à qui on ne donne que peu de temps, je n’y crois pas. J’ai bien un pincement au cœur parfois quand j’y pense, mais je repousse l’idée du revers de la main. La vie est assez difficile qu’on ne veut pas se « bâdrer » de la mort. C’est pour ça qu’elle nous surprend toujours, la « vinyenne » et ça m’est arrivé avec mon père, je le voyais être là longtemps encore sur son lit d’hôpital. Un jour j’ai été le voir, je suis resté un peu. À mon départ, il respirait toujours, je suis retourné chez moi et il en a profité pour partir. On était le 3 mai, trois jours avant son anniversaire.

Alors je suis retourné à son chevet, il avait un débarbouillette roulée sous le menton pour ne pas que sa mâchoire retombe. Je l’ai dessiné quelques fois, mais j’en ai raté un, il bougeait trop (c’est une blague). Je ne ressentais rien, je n’ai pas vu d’ange, pas senti son souffle dans mon cou, rien, il était mort et on passe à autre chose. Un grand sans-cœur que je suis, je vous dis.

À son service je n’ai rien ressenti de particulier non plus, personne ne lui a rendu hommage, sauf le prêtre et on lui a chanté la chanson que sa sœur lui chantait les derniers temps. Après le petit buffet, quand j’ai dit à ma sœur que je voulais revenir à pied en traversant le pont Jacques Cartier, il a fallu que je la rassure. Non, je n’allais pas sauter le parapet, mais par contre j’ai lâché un cri que personne n’a entendu, couvert qu’il était par le bruit des voitures. Ça m’a fait le plus grand bien.





ÈPILOGUE

En terminant, deux anecdotes : je me souviens que lorsque j’avais autour de vingt ans nous étions à la campagne, il y avait là mon père et une jeune fille d’une quinzaine d’années qui avait décidé, je ne sais pourquoi, de se confier à lui. Elle lui à tout dit, je n’en entendais que des bribes, mais elle lui confiait toutes les frustrations de sa vie d’adolescente, et lui, et bien il écoutait.

Il lui posait des questions, parfois, mais sans juger, jamais. Je croyais rêver. J’imagine qu’il n’aurait jamais fait ça avec nous parce qu’il aurait cru nécessaire de nous donner son opinion pour bien nous guider, plutôt que de simplement nous écouter et nous laisser choisir, allez savoir.

La deuxième histoire vient de mon voisin de l’époque, Luc qui m’a confié que chez lui la punition, c’était la « strappe » et qu’un jour il l’avait subtilisée, coupée et jetée dans le poêle à bois. Ce qu’il ignorait, c’est que son père en avait une deuxième. Il dût payer chèrement son geste. Je crois me souvenir de la « strappe », mais l’impression que son père m’avait laissé en était une de grande gentillesse, comme sa perception à lui de mon père.


vendredi 11 avril 2014

La forêt de ma vie

En attendant mon texte final sur mon père, je vous refile un petit bout du livre de ma mère, Jeannine Langlois, qui nous présente Jean-Pierre d’une façon plus poétique mais tout aussi caustique. Son livre s’intitule « La forêt de ma vie » et je trouve que c’est bien fichu pour une dame qui n’a qu’un sixième année.

Elle était d’une grande beauté, je me souviens que lors de mon inscription à l’école, nous devions passer sous l’autoroute métropolitaine en construction et qu’elle s’est fait siffler à plusieurs reprises. Je n’avais que cinq ans et demi mais je me souviens qu’elle était magnifique dans son tailleur bleu et blanc avec son petit chapeau assorti.

Elle est , bien sûr, encore belle à 85 ans et toujours aussi allumée et drôle que dans sa jeunesse.



LE PIN BLANC

Sous l’écorce des jours, au mois d’octobre, le pin velu bougonne. Ses compagnons se parent de couleur chaudes, or ambré, rouge carminé, alors que son habit reste bien vert.

Tout l’hiver, ses congénères se reposent. Lui, lutte! Mal dans sa peau, il pique ses proches de ses aiguilles.

Ses rameaux grêles et flexibles doivent leur rugosité aux bosses des cicatrices foliaires. Atteint, il tente de se faire justice. Son odeur sauvage m’attire.

Géant immobile, toi, résineux, tu te refermes sur toi-même! Toi, Jean-Pierre, entends, entends ce que j’ai à te dire! Colosse figé, je recherche ton calme. À la longue, tu deviendras ennuyeux et tu m’endormiras.

Entre tes aiguilles, le vent chante: je découvrirai que tu manques de confiance en toi, tu te sens fort quand tu écrases les plus faibles

mercredi 9 avril 2014

Une invitation

J'ai passé la journée avec Ninon Pelletier et Alain Massicotte à faire le montage de l'exposition de ce dernier. Le vernissage à lieu demain, c'est à ne pas manquer. Mon ami Alain à un coup de pinceau magique et une virtuosité insurpassable. Il sait rendre les atmosphères, les saveurs  d'une journée en quelques traits d'intenses couleurs. En d'autres mots c'est beau en maudit et je suis jaloux.

Je serai là demain soir et ça ne dure que cinq jours.




mercredi 2 avril 2014

Mon père 4 (il en reste un autre)



Bon, je dois d’abord m’excuser auprès de mes fidèles lecteurs qui attendent sûrement le point final à cette histoire, mais je dois avouer que je me suis laissé prendre au jeu de mes souvenirs et que j’ai parfois dérapé consciemment dans toutes les directions. Bien sûr, j’écris d’abord ces textes pour moi, mais avoir vos commentaires et vos appréciations me comblent.

Mon père, comme à peu près tout le monde à cette époque était croyant et pratiquant, il fallait donc aller à la messe chaque semaine, mais à l’adolescence nous avions trouvé un subterfuge. Comme vous le savez à 15 ou 16 ans, on a besoin de beaucoup de sommeil, étant  en croissance. Alors nous faisions semblant de dormir, jusqu’à la dernière messe. Personnellement c’est un peu là que j’ai commencé ma carrière d’artiste. Pour m’occuper, je dessinais mes pieds et mes mains.

Ma mère, quant à elle, emmenait ma jeune sœur en ballade en voiture et ne revenait à la maison qu’à la fin du service liturgique. Belle famille!

À Noël, on ne recevait jamais ce qu’on désirait, mon père nous disait souvent que lui, à Noël il recevait une orange et c’est tout. Moi, je voulais des fusils de cow-boy, bien sûr, tous les petits garçons ont besoin d’une arme pour se protéger mais mon père n’a jamais voulu. Il avait failli aller à la guerre et s’en était sorti en faisant croire qu’il souffrait d’énurésie. Alors, les armes, pas pour lui et c’est tout en son honneur, je trouve.


Et ce train électrique, beaucoup trop cher, que je voulais tellement. Il m’en a acheté un avec une clef qu’on remonte et m’a dit que si je l’avais encore l’année suivante j’en aurais un « vrai ». Bien sûr, l’année suivante, mon train à ressort était brisé, surtout qu’on jouait avec dans le carré de sable.

Pour en revenir au magasin de mon grand-père, il y avait à l’arrière, un salon de barbier où mon père a appris à couper les cheveux ou devrais-je dire à les raser, comme c’était la mode à l’époque. Je me souviens de ces vieux messieurs et je me demande si ça existe de jeunes barbiers, il me semble que tous ceux que j’ai connus avaient un âge plus que vénérable.

Malheureusement, se faire couper les cheveux par mon père était une horreur : on ne penchait jamais assez la tête, on ne la tournait jamais du bon côté, on bougeait trop. On aurait bien aimé que nos cheveux poussent moins vite, car les tontes revenaient trop rapidement à cette époque.

Comme moi, il ne pleurait jamais, sauf, tenez vous bien, en regardant Caliméro. Ce poussin noir avec sa coquille brisée sur la tête, rejeté de ses frères et sœurs parce qu’il était différent, savait toucher le cœur de cet homme. Et quand le petit disait : « C’est vraiment trop inzuste » mon père ouvrait les fontaines, il tournait sa chaise vers la fenêtre pour ne pas qu’on le voit pleurer. Mon jeune frère dit souvent qu’on aurait pu se faire arracher un bras, il n’aurait pas bronché mais ce pauvre Caliméro…


Pour vous montrer que la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre, je me souviens que lors d’un voyage en vélo, j’ai trouvé une copie de « Bouillons de poulet » dans les toilettes d’un B&B et que je me suis mis à lire cette histoire d’un type dont le père est mourant. Ça se termine avec le père qui danse soutenu par son fils et je me suis mis à pleurer, comme je pleure en l’écrivant en ce moment et je me demande pourquoi ces histoires factices me touchent ou nous touchent plus que la réalité. Quand j’écris sur mon père, rien, de glace, mon cœur.
 
Jean-Pierre, c’est son nom, était un grand patineur, moi qui patinais sur la bottine avec mes guibolles molles, j’étais vraiment impressionné. Il allait, à mes yeux d’enfants, à une vitesse folle, par devant, par derrière et je le vois avec seulement un petit coupe vent rouge filant comme une comète.

Moi, je n’ai été dans une équipe que pour une seule partie sur une patinoire extérieure et étant poche, le coach m’a laissé gelé sur le banc les pieds dans la neige et j’ai compris ce jour là que je ne serais pas le prochain Maurice Richard, ni même son frère Henri. Par contre, j’ai appris que la meilleure façon de se dégeler les pieds, c’est de courir sur ses bas dans la neige. Mais, personnellement j’aurais préféré jouer et ne pas me les geler… les pieds.


Il nous a fait des patinoires dans la cours arrière pendant des années. On en a même eu une qui faisait aussi la cour du voisin monsieur Lanctôt et avec une bande en plus. Elle était à peine plus petite que celle au parc.

Mais on payait pour quand même, il fallait bien la déneiger cette patinoire et si vous vous souvenez des tempêtes de l’époque, c’était beaucoup de travail pour nos petits bras maigrelets. En plus il fallait aller patiner, sinon mon père se sentait lésé et pensait qu’il faisait tout ça pour rien et on ne voulait surtout pas qu’il soit malheureux, notre bien-être en dépendait. Comme je patinais très mal, au bout de 15 minutes, j’avais mal aux chevilles. Les patins n’offraient pas de soutien à cette époque et comme ils étaient presque toujours usagés, le cuir était mou comme de la guenille. J’ai toujours préféré le hockey dans la rue, j’étais définitivement meilleur sur mes deux pieds, mais aujourd’hui j’adore patiner, merci Pop!

P.S. Un jour que je n'avais pas de papier sur lequel dessiner, ma soeur Élaine m'a gentiment prêté les pages vierges du roman genre Harlequin qu'elle avait avec elle (la 3e image) et qui s'intitulait "Un instant d'infini". Assez approprié comme titre, sauf que dans le roman ça devait finir mieux que pour mon père, quoique une fois qu'on a passé de l'autre côté, on doit tu être bien!

À suivre