mardi 22 avril 2014
mardi 15 avril 2014
Mon père 5 (la fin)
Mon père 5 (la fin)
La première fois qu’il est entré
à l’hôpital Santa-Cabrini, c’était le 3 février 1999 et grâce aux médicaments
qu’on lui a administrés, il a cessé de souffrir mais il avait d’étranges hallucinations;
il voyait des fils flotter devant ses yeux, des araignées ou bien il essayait
d’enlever des mousses imaginaires sur lui-même. Puis ce furent les parades; il
voyait sur les murs des personnages défiler, des clowns, des gens à motocyclettes,
des fanfares. Il nous disait: « Regarde, tu les vois pas? »
Il n’a pas fait de chimio, il
était déjà trop tard, j’imagine, mais de la radio, qui le brûlait disait-il. Il
était aussi claustrophobe, chose que j’ignorais, alors il trouvait très
difficile d'être mis dans le grand tunnel pour les résonnances magnétiques.
Moi, je viens d’en passer une et
je trouve ça au contraire très relaxant, malgré les bruits percutants de
l’appareil. On n’a qu’à s’imaginer qu’on est dans une discothèque, un samedi
soir. Le beat change régulièrement, c’est très entraînant, il suffit de ne pas
se mettre à danser, les techniciennes n’apprécieraient pas. Par contre, ce qui
est moins agréable, c’est quand le résultat est positif et qu’on vous dit que
la tumeur s’est remise à danser dans votre tête, comme c’est mon cas. Je dois passer une autre IRM
cette semaine pour confirmer que la bibitte s’est bien remise au boulot.
Mon père avait un voisin de lit avec
lequel il s’entendait bien, un monsieur Shearing que j’ai vu dépérir à chacune
de mes visites et comme pour mon père, le processus a été tellement lent et
long qu’on en vient à ne plus croire que la mort viendra. Comme si le malade
allait s’accrocher éternellement, même muet, même amaigri. Et pourtant un jour,
on arrive et il y a quelqu’un d’autre dans le lit d’à coté.
Ce doit être un drôle de métier
qu’être infirmière en soin palliatif et de savoir que tout ce qu’on fait ne
sert qu’à retarder un peu plus l’échéance. Quand il avait encore toute sa tête,
mon père nous disait : « Chu tanné! ». Qu’aurait-il fait si on
lui avait offert le choix entre partir plus vite ou souffrir encore?
Il prétendait avoir vu
son voisin emporté par des ombres la nuit de sa mort. Il avait toute sa tête à
ce moment là et il nous a dit qu’il avait eu très peur.
À mon souvenir, je n'ai jamais parlé de SA mort avec lui, j'avais peut être peur de sa réaction, par contre ma soeur lui en parlé quelques fois: ça le mettait en colère mais il oubliait aussitôt.
Après un peu plus d’un an de
répit, retour à Santa-Cabrini le 18 avril 2000. Il aurait bien aimé revenir
chez lui terminer ses jours, mais sa conjointe de l’époque ne pouvait
s’imaginer s’occuper de lui, même avec de l’aide. En plus, il ne l’aimait plus
tellement et il était plutôt pas fin avec elle. Et cet étrange homme a laissé autant d'argent à ma mère à qui il ne parlait plus depuis vingt ans qu'à sa nouvelle conjointe.
Puis vint la paranoïa; on le
gardait à l’hôpital contre son gré, disait-il. Il y avait des gens au sous-sol
qui préparaient des armes de guerre, il fallait qu’il parte. Essayer de
raisonner cet homme était plutôt difficile. Il nous regardait avec cet air
colérique dont je vous ai parlé et nous ordonnait de l’aider à partir. Il a
même essayé seul, une nuit, mais un infirmier a vu une de ses pantoufles dans
l’escalier qui pointait dans la direction vers laquelle il allait. On l’a
rattrapé et on a dû le mettre en contention.
Petite histoire cocasse, disons;
un soir qu’il voulait s’en aller, ma sœur Lucie l’a amené dans le corridor avec
sa marchette en lui faisant croire qu’elle l’aidait à sortir. Comme l’édifice
était en rotonde, qu’on aille dans n’importe quelle direction, on revenait
toujours à son point de départ. Vous comprendrez que mon père était confus,
mais quand il est repassé devant sa chambre il a bien compris qu’il s’était
fait avoir. Pas content le monsieur, mais finalement il est retourné dans sa
chambre, épuisé.
Par contre, sa maladie nous a
rapproché… un tantinet. J'allais le voir régulièrement, il ne s'est jamais
ouvert à moi, il n'était pas comme ça, mais dans sa position de prostration, je
pouvais lui donner l'affection que j'aurais aimé qu'il me donne. Je lui
caressais les cheveux, je l'embrassais sur le front et je l’aidais de mon mieux.
Il avait de très belles mains et la peau très douce.
Mon père peu avant de mourir a
rêvé à une grande maison, sur une montagne, belle image, je trouve. Je me
souviens de l’avoir remercié d’avoir été là pour moi, car il m’avait toujours
aidé et appuyé dans mon choix de carrière et mes études. Il était assis dans sa
chaise avec ce regard terrible qu’il a sur le dessin que vous voyez ici. Quand
j’ai fini ma phrase, je l’ai vu frémir, j’avais l’impression qu’il allait se
lever et m’assassiner, comme s’il m’en voulait de vivre alors que lui
disparaissait.
J’ai eu un autre oncle, comme
ça, qui avait un cancer; j’étais ado et quand je lui parlais de mes projets de
vie, je sentais dans ses réponses une sorte de colère et de frustration, comme
si le personnage affable que j’avais connu n’existait plus. La sérénité et
l’acceptation de sa propre disparition ne semblent venir aux mourants qu’aux
derniers instants.
Puis, JP est passé de la nourriture normale d’hôpital au « Ensure », c’était presque devenu un running gag; tout le monde lui demandait s’il en avait pris, comme si ça allait lui sauver la vie. Puis ce furent les intraveineuses et le silence. On l’avait mis sur un matelas gonflable, il avait des plaies de lit et très mal au coccyx, en plus qu’il était grand et que ses pieds dépassaient au bout du lit, ça devait être très pénible. À cette étape de son parcours, vers la fin, les seuls sons qui sortaient de sa bouche étaient des grognements de douleur quand les infirmières le déplaçaient sur son lit.
Il avait perdu la foi et ne
voulait rien entendre des aumôniers de l’hôpital. Il disait « Tu t’en vas
dans la vie, pis on te donne une jambette». Il disait aussi qu’il s’était fait avoir.
Par qui, par quoi, je ne sais pas. Par la vie, par la mort, j’imagine. Je l’ai
dit, on se pense tous éternel, même si on sait qu’il y a une échéance, elle
nous paraît toujours tellement lointaine que c’est comme si elle n’existait
pas, on n’y pense même pas, pris dans la course comme on l’est.
Même moi à qui on ne donne que
peu de temps, je n’y crois pas. J’ai bien un pincement au cœur parfois quand
j’y pense, mais je repousse l’idée du revers de la main. La vie est assez
difficile qu’on ne veut pas se « bâdrer » de la mort. C’est pour ça
qu’elle nous surprend toujours, la « vinyenne » et ça m’est arrivé
avec mon père, je le voyais être là longtemps encore sur son lit d’hôpital. Un
jour j’ai été le voir, je suis resté un peu. À mon départ, il respirait
toujours, je suis retourné chez moi et il en a profité pour partir. On était le
3 mai, trois jours avant son anniversaire.
Alors je suis retourné à son
chevet, il avait un débarbouillette roulée sous le menton pour ne pas que sa
mâchoire retombe. Je l’ai dessiné quelques fois, mais j’en ai raté un, il
bougeait trop (c’est une blague). Je ne ressentais rien, je n’ai pas vu d’ange,
pas senti son souffle dans mon cou, rien, il était mort et on passe à autre
chose. Un grand sans-cœur que je suis, je vous dis.
À son service je n’ai rien
ressenti de particulier non plus, personne ne lui a rendu hommage, sauf le
prêtre et on lui a chanté la chanson que sa sœur lui chantait les derniers
temps. Après le petit buffet, quand j’ai dit à ma sœur que je voulais revenir à
pied en traversant le pont Jacques Cartier, il a fallu que je la rassure. Non,
je n’allais pas sauter le parapet, mais par contre j’ai lâché un cri que
personne n’a entendu, couvert qu’il était par le bruit des voitures. Ça m’a
fait le plus grand bien.
ÈPILOGUE
En terminant, deux
anecdotes : je me souviens que lorsque j’avais autour de vingt ans nous
étions à la campagne, il y avait là mon père et une jeune fille d’une quinzaine
d’années qui avait décidé, je ne sais pourquoi, de se confier à lui. Elle lui à
tout dit, je n’en entendais que des bribes, mais elle lui confiait toutes les
frustrations de sa vie d’adolescente, et lui, et bien il écoutait.
Il lui posait des questions,
parfois, mais sans juger, jamais. Je croyais rêver. J’imagine qu’il n’aurait
jamais fait ça avec nous parce qu’il aurait cru nécessaire de nous donner son
opinion pour bien nous guider, plutôt que de simplement nous écouter et nous
laisser choisir, allez savoir.
La
deuxième histoire vient de mon voisin de l’époque, Luc qui m’a confié que chez lui la punition, c’était la
« strappe » et qu’un jour il l’avait subtilisée, coupée et jetée dans
le poêle à bois. Ce qu’il ignorait, c’est que son père en avait une deuxième.
Il dût payer chèrement son geste. Je crois me souvenir de la
« strappe », mais l’impression que son père m’avait laissé en était une
de grande gentillesse, comme sa perception à lui de mon père.
vendredi 11 avril 2014
La forêt de ma vie
En attendant mon texte final sur mon père, je vous
refile un petit bout du livre de ma mère, Jeannine Langlois, qui nous présente
Jean-Pierre d’une façon plus poétique mais tout aussi caustique. Son livre
s’intitule « La forêt de ma vie » et je trouve que c’est bien fichu pour
une dame qui n’a qu’un sixième année.
Elle était d’une grande beauté, je me souviens que
lors de mon inscription à l’école, nous devions passer sous l’autoroute
métropolitaine en construction et qu’elle s’est fait siffler à plusieurs
reprises. Je n’avais que cinq ans et demi mais je me souviens qu’elle était
magnifique dans son tailleur bleu et blanc avec son petit chapeau assorti.
Elle est , bien sûr, encore belle à 85 ans et toujours aussi allumée et drôle que
dans sa jeunesse.
LE PIN BLANC
Sous l’écorce des jours, au mois d’octobre, le pin
velu bougonne. Ses compagnons se parent de couleur chaudes, or ambré, rouge
carminé, alors que son habit reste bien vert.
Tout l’hiver, ses congénères se reposent. Lui, lutte!
Mal dans sa peau, il pique ses proches de ses aiguilles.
Ses rameaux grêles et flexibles doivent leur rugosité
aux bosses des cicatrices foliaires. Atteint, il tente de se faire justice. Son
odeur sauvage m’attire.
Géant immobile, toi, résineux, tu te refermes sur
toi-même! Toi, Jean-Pierre, entends, entends ce que j’ai à te dire! Colosse
figé, je recherche ton calme. À la longue, tu deviendras ennuyeux et tu
m’endormiras.
mercredi 9 avril 2014
Une invitation
J'ai passé la journée avec Ninon Pelletier et Alain Massicotte à faire le montage de l'exposition de ce dernier. Le vernissage à lieu demain, c'est à ne pas manquer. Mon ami Alain à un coup de pinceau magique et une virtuosité insurpassable. Il sait rendre les atmosphères, les saveurs d'une journée en quelques traits d'intenses couleurs. En d'autres mots c'est beau en maudit et je suis jaloux.
Je serai là demain soir et ça ne dure que cinq jours.
Je serai là demain soir et ça ne dure que cinq jours.
dimanche 6 avril 2014
mercredi 2 avril 2014
Mon père 4 (il en reste un autre)
Bon, je dois d’abord m’excuser
auprès de mes fidèles lecteurs qui attendent sûrement le point final à cette
histoire, mais je dois avouer que je me suis laissé prendre au jeu de mes souvenirs
et que j’ai parfois dérapé consciemment dans toutes les directions. Bien sûr,
j’écris d’abord ces textes pour moi, mais avoir vos commentaires et vos
appréciations me comblent.
Mon père, comme à peu près tout
le monde à cette époque était croyant et pratiquant, il fallait donc aller à la
messe chaque semaine, mais à l’adolescence nous avions trouvé un subterfuge.
Comme vous le savez à 15 ou 16 ans, on a besoin de beaucoup de sommeil,
étant en croissance. Alors nous
faisions semblant de dormir, jusqu’à la dernière messe. Personnellement c’est
un peu là que j’ai commencé ma carrière d’artiste. Pour m’occuper, je dessinais
mes pieds et mes mains.
Ma mère, quant à elle, emmenait
ma jeune sœur en ballade en voiture et ne revenait à la maison qu’à la fin du
service liturgique. Belle famille!
À Noël, on ne recevait jamais ce
qu’on désirait, mon père nous disait souvent que lui, à Noël il recevait une
orange et c’est tout. Moi, je voulais des fusils de cow-boy, bien sûr, tous les
petits garçons ont besoin d’une arme pour se protéger mais mon père n’a jamais
voulu. Il avait failli aller à la guerre et s’en était sorti en faisant croire
qu’il souffrait d’énurésie. Alors, les armes, pas pour lui et c’est tout en son
honneur, je trouve.
Et ce train électrique, beaucoup
trop cher, que je voulais tellement. Il m’en a acheté un avec une clef qu’on
remonte et m’a dit que si je l’avais encore l’année suivante j’en aurais un
« vrai ». Bien sûr, l’année suivante, mon train à ressort était
brisé, surtout qu’on jouait avec dans le carré de sable.
Pour en revenir au magasin de
mon grand-père, il y avait à l’arrière, un salon de barbier où mon père a
appris à couper les cheveux ou devrais-je dire à les raser, comme c’était la
mode à l’époque. Je me souviens de ces vieux messieurs et je me demande si ça
existe de jeunes barbiers, il me semble que tous ceux que j’ai connus avaient
un âge plus que vénérable.
Malheureusement, se faire couper
les cheveux par mon père était une horreur : on ne penchait jamais assez
la tête, on ne la tournait jamais du bon côté, on bougeait trop. On aurait bien
aimé que nos cheveux poussent moins vite, car les tontes revenaient trop
rapidement à cette époque.
Comme moi, il ne pleurait
jamais, sauf, tenez vous bien, en regardant Caliméro. Ce poussin noir avec sa
coquille brisée sur la tête, rejeté de ses frères et sœurs parce qu’il était
différent, savait toucher le cœur de cet homme. Et quand le petit disait :
« C’est vraiment trop inzuste » mon père ouvrait les fontaines, il
tournait sa chaise vers la fenêtre pour ne pas qu’on le voit pleurer. Mon jeune
frère dit souvent qu’on aurait pu se faire arracher un bras, il n’aurait pas
bronché mais ce pauvre Caliméro…
Pour vous montrer que la pomme
n’est pas tombée loin de l’arbre, je me souviens que lors d’un voyage en vélo,
j’ai trouvé une copie de « Bouillons de poulet » dans les toilettes
d’un B&B et que je me suis mis à lire cette histoire d’un type dont le père
est mourant. Ça se termine avec le père qui danse soutenu par son fils et je me
suis mis à pleurer, comme je pleure en l’écrivant en ce moment et je me demande
pourquoi ces histoires factices me touchent ou nous touchent plus que la
réalité. Quand j’écris sur mon père, rien, de glace, mon cœur.
Jean-Pierre, c’est son nom, était un grand patineur, moi qui patinais sur la bottine avec mes guibolles molles, j’étais vraiment impressionné. Il allait, à mes yeux d’enfants, à une vitesse folle, par devant, par derrière et je le vois avec seulement un petit coupe vent rouge filant comme une comète.
Jean-Pierre, c’est son nom, était un grand patineur, moi qui patinais sur la bottine avec mes guibolles molles, j’étais vraiment impressionné. Il allait, à mes yeux d’enfants, à une vitesse folle, par devant, par derrière et je le vois avec seulement un petit coupe vent rouge filant comme une comète.
Moi, je n’ai été dans une équipe
que pour une seule partie sur une patinoire extérieure et étant poche, le coach
m’a laissé gelé sur le banc les pieds dans la neige et j’ai compris ce jour là
que je ne serais pas le prochain Maurice Richard, ni même son frère Henri. Par
contre, j’ai appris que la meilleure façon de se dégeler les pieds, c’est de
courir sur ses bas dans la neige. Mais, personnellement j’aurais préféré jouer
et ne pas me les geler… les pieds.
Il nous a fait des patinoires
dans la cours arrière pendant des années. On en a même eu une qui faisait aussi
la cour du voisin monsieur Lanctôt et avec une bande en plus. Elle était à
peine plus petite que celle au parc.
Mais on payait pour quand même,
il fallait bien la déneiger cette patinoire et si vous vous souvenez des
tempêtes de l’époque, c’était beaucoup de travail pour nos petits bras
maigrelets. En plus il fallait aller patiner, sinon mon père se sentait lésé et
pensait qu’il faisait tout ça pour rien et on ne voulait surtout pas qu’il soit
malheureux, notre bien-être en dépendait. Comme je patinais très mal, au bout
de 15 minutes, j’avais mal aux chevilles. Les patins n’offraient pas de soutien
à cette époque et comme ils étaient presque toujours usagés, le cuir était mou
comme de la guenille. J’ai toujours préféré le hockey dans la rue, j’étais
définitivement meilleur sur mes deux pieds, mais aujourd’hui j’adore patiner,
merci Pop!
P.S. Un jour que je n'avais pas de papier sur lequel dessiner, ma soeur Élaine m'a gentiment prêté les pages vierges du roman genre Harlequin qu'elle avait avec elle (la 3e image) et qui s'intitulait "Un instant d'infini". Assez approprié comme titre, sauf que dans le roman ça devait finir mieux que pour mon père, quoique une fois qu'on a passé de l'autre côté, on doit tu être bien!
À suivre
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