jeudi 6 mars 2014

Mon père 2





Mon père était un homme charmant...avec les étrangers. Avec nous, c'était
une autre histoire. Je crois qu'il n'était pas fait pour avoir des enfants,

en tous cas pas les responsabilités qui viennent avec. À cette époque, la
vie ne vous donnait que deux choix, mariage et enfants au plus sacrant ou le
sacerdoce. Si on ne décidait pas de se marier à Jésus, il fallait choisir le
ou la bonne partenaire et je peux vous dire que mes parents se sont trompés.

Lui était typographe, intelligent, mais ce que j'appellerais une
intelligence morte. Il a appris ce dont il avait besoin pour avoir un métier
et se débrouiller dans la vie, mais ça s'est arrêté là. Aucune curiosité,
aucun goût de la nouveauté, aucun esprit d'entreprise. Je n’ai jamais vu
d’étincelles dans ses yeux. On lui a parfois offert des promotions, mais il
préférait être simple employé, ça lui suffisait. Sa vie se résumait à
métro-boulot-dodo et nous engueuler.


D'un autre côté son insécurité a fait que nous avons pris nos vacances toute
notre jeunesse au même endroit, à Saint-Michel-des-Saints. Nous n'avons
jamais déménagé, alors pour des enfants, c'était quand même rassurant. Quant
à ma mère, je pense, qu'elle aimait bien la sécurité qu'il lui apportait, il
était très économe et travaillant et il a pu acheter une maison dès leur
mariage.

Mais pour bien comprendre comment il abhorrait les changements, les
responsabilités et les travaux de la maison, ce qui le mettait le plus en
colère, c'était changer les fenêtres double, oui, oui, les fenêtres double.
À chaque fois, c'était l'horreur et comme l'évènement se produisait au
printemps et à l'automne, c'était une double angoisse. En plus, comme c'est
lui qui décidait de la date, j'angoissais toujours d'avance en attendant le
jour fatidique.

Comme j'étais le plus vieux garçon, c'est à moi qu'incombait la tâche de
l'assister. Il me jappait ses demandes et bien sûr je ne comprenais jamais
vraiment ce qu'il voulait : ou bien je lui donnais la mauvaise fenêtre ou le
mauvais chiffon ou n'importe quoi pour qu'il puisse passer ses frustrations
sur le cabochon que j'étais. Ma mère y goûtait aussi, elle était la
gardienne de la maison, donc, si les outils n'étaient pas à leur place,
c'était de sa faute à elle. Il disait alors: "J'imagine que c'est les
esprits qui l’ont pris".

Ce que mon père aurait voulu, je pense, c'est aller travailler, ramener son
chèque, en donner une partie à sa femme, puis s'assoir dans son fauteuil et
qu'on lui fiche la paix comme bien des hommes de cette époque. Mais il y
avait toujours quelque chose à faire dans ou autour de c'te foutue maison:
déboucher ou arranger un lavabo qui fuit, couper le gazon, pelleter la
neige, ramasser les feuilles à l'automne, peinturer et le stress ultime,
paqueter le char pour partir en vacances. Ma mère, en particulier, payait
cher pour ses quelques semaines de "repos".

Par contre, sauf pour quelques claques derrière la tête, il ne nous à jamais
frappé; sa grosse voix, ses sourcils noirs en accent circonflexe du haut de
ses six pieds suffisaient à nous terroriser.

Je me souviendrai toujours de cette rare fois où on s'amusait avec lui
autour de la table. Il s'est levé, sûrement pour prendre son cendrier, alors
j'ai eu la "bonne idée" de retirer sa chaise de sous lui et il est tombé le
cul par terre. Erreur! J'ai couru jusqu'au milieu de l'escalier et je
regardais par une encoignure en attendant sa réaction. Le crime était
tellement grand que je ne pouvais imaginer ce qu'il allait me faire. Mais,
il ne s'est rien passé, rien, il m'a simplement dit de ne plus faire ça, que
c'était dangereux et on est passé à autre chose.



Ma mère, tout le contraire de mon père, une femme intelligente, allumée,
curieuse, mais j'ai pris des années à m'en rendre compte, emprisonnée
qu'elle était dans son carcan de femme au foyer. Ce n'est que bien plus tard
qu'elle s'est libérée, qu'elle s'est trouvé un humble travail de vendeuse de
chaussures et qu'elle s'est affranchie de mon père après une longue lutte.
Mon père ne voulait pas que ma mère aille travailler, il trouvait que sa
place était à la maison. À cette époque, une femme qui travaillait à
l’extérieur, était la preuve que l'homme ne pouvait faire vivre son épouse
convenablement. C'était dur pour l'orgueil du monsieur.

Avant de se laisser, mon père a passé des années à ne pas lui parler. Ma
mère lui écrivait des messages du genre : « Il y a du pâté chinois pour
souper, réchauffe le une demi heure à 350 degrés ». Et ce n'est qu'après
leur séparation qu'elle a développé sa passion pour l'écriture. Elle a suivi
des dizaines d'ateliers d'écriture et elle a même publié un livre chez un
vrai éditeur et je vous jure qu'elle est aussi bonne écrivaine que Jeannette Bertrand.





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