mercredi 26 mars 2014

Mon père 3

Mon père, je l'ai vu souffrir, regardant fixement devant lui. C'est
difficile de dire quel était mon sentiment. Jeune, j'étais très timide et
ses nombreuses remarques m'avaient bien fait comprendre que j'étais un
incapable, alors j'étais prisonnier entre lui qui me faisait peur et le
monde extérieur qui m'effrayait tout autant. Son problème en était un
d'insécurité, je pense, le fardeau d'avoir à faire vivre cinq enfants et une
femme était trop pour lui. Chaque dollar qui sortait de sa poche était donné
contre son gré et il nous le faisait bien comprendre. Il était le pourvoyeur
et c'était SON argent. D'un autre côté il ne faisait que reproduire ce qu'il
avait vécu et cette sorte de relation avec sa femme et ses enfants était
plutôt la norme à l'époque.

 Une de ses dernières paroles fut sa réponse à une question de ma grande sœur
qui voulait savoir s'il nous aimait. Sa réponse fut caractéristique de lui:
" Vous n'avez jamais manqué de rien". On aurait tellement aimé ça qu'il nous
dise juste une fois qu'il nous aimait.

Peut-on être autre chose qu'un produit de son époque? Il venait d'une
famille de treize enfants entassés dans un petit logement de la rue Saint
Urbain à Montréal, avec Florida sa mère, qui n'a pas dû lui prodiguer
beaucoup d'affection. La première image qu'on avait en rentrant chez elle,
c'était de la voir assise sur sa berceuse au bout du corridor les jambes
écartées avec son air renfrogné de vieux bulldog et ses critiques constantes
sur nous et le monde moderne. Elle était très puritaine et l'émission «
Jeunesse d'Aujourd'hui » de Pierre Lalonde avec ses danseuses à gogos la
rendait particulièrement hargneuse, c'était l'indécence totale. Lorsqu'elle
est morte, une de mes tantes a dit qu'elle a vu le crucifix au dessus de la
moribonde bouger. C'était sûrement le bon Dieu qui tremblait de peur à
l'idée de la recevoir dans son ciel.

À l'église, je me souviens du long cri déchirant de mononc' Claude la «
polisse », le gros dur. Il avait hurlé un grand « moooman » à fendre l'âme.
Si ça avait été quelqu'un d'autre j'aurais été ému, mais LUI et ELLE! Je ne
savais pas que quelqu'un pouvait aimer cette vieille bête.

Mais, je dois avouer que j'en veux un peu à cet oncle de m'avoir surpris à «
garocher » des roches aux italiens, ceux qu'on appelait les « wopse » et de
m'avoir dénoncé à mon père. Il était patrouilleur dans notre quartier et je
le voyais trop souvent à mon goût. Physiquement, imaginé, il était la copie
conforme de mon père, mais en plus obtus encore, pour ne pas utiliser de
terme disgracieux.

Quand il venait voir mon père à l'hôpital, il s'assoyait sur sa chaise les
jambes bien ouvertes, car on sait que les « polisses » ont de grosses
couilles, tellement grosses qu'elles leur vont jusqu'au cerveau, parfois. Il
plaçait alors sa main baguée d'une énorme chevalière devant son paquet, pour
le protéger sûrement et alors, en mâchant son éternelle gomme, il se mettait
à raconter des « jokes de tapette », quoi d'autre.

Et Florida a eu un enterrement à son image, ou peut-être à celle que je me
faisais d'elle. On était en automne, il faisait froid et il tombait des
cordes, il y avait des flaques d'eau et de boue partout, qu'on essayait en
vain d'éviter. Mes beaux souliers cirés en ont pris un coup. Alors, comme «
je n'ai pas pleuré, dans la pluie on n'y a vu que du feu », pour presque
paraphraser Mario Pelchat.

En plus, j'ai eu la journée de congé au collège, mais j'ai sûrement dû la
rattraper, parce que j'allais chez les Eudistes, qui est semble-t-il le plus
meilleur collège au Québec, mais à cette époque on ne le savait pas. Alors
quand je suis tombé de 1er de classe au primaire à 12e au secondaire, j'ai
cru que j'étais devenu imbécile et je me levais à chaque lundi matin en
pleurant.

Et puis, je dois avouer une chose qui va vous dégoûter; nous n'étions
vraiment pas riche chez nous et je n'étudiais là que parce que mon cousin,
fils de notaire y allait. Ma sœur, la plus intelligente des deux, n'a fait
que son scientifique, et au publique. Le fils de typographe, lui, n'avait
qu'un habit, un, et à cette époque, les nettoyeurs avaient congé les mêmes
jours que nous, alors pendant un an je n'ai jamais fait nettoyer mon habit,
même pas à Noël puisque c'était encore fermé.

Vous imaginez les odeurs, en plus qu'on ne se lavait que deux fois par
semaine chez nous, pour épargner l'électricité, le mercredi et le samedi. En
plus, pour finir de vous traumatiser, si on salissait ses « petites culottes
» le dimanche, on n'en changeait que le mercredi, tout de même. Je me
souviens qu'à la fin mon fond de culotte était tellement transparent et
odorant que j'aurais pu être victime d'auto-combustion.

Mais, revenons aux choses sérieuses, mon grand-père, quant à lui est mort
d'un infarctus le lendemain de ma naissance et je vous entends dire,
méchantes langues que vous êtes, que c'est lorsque qu'il m'a vu que son
coeur a flanché. Mais non, il n'a même pas eu le temps de me voir, il était
déjà à l'hôpital. Alors, j'ai été baptisé quelques jours après son
enterrement. Joyeux début dans la vie, le premier fils Cousineau de la
nouvelle génération a remplacé le doyen.

Il était le propriétaire d'un « Cigar Store », une sorte de magasin général,
sur la rue Bernard à Montréal. Je me souviens que mon père m'y a amené une
fois; je me revois assis avec lui sur le siège avant de la voiture, comme un
grand et émerveillé d'avoir mon père à moi seul. Le magasin, pour l'enfant
que j'étais, fut aussi une merveille. Il y avait de tout, du plancher au
plafond et comble du bonheur il m'a acheté un de ces jouets en métal,
actionnés par une petite pompe, un singe qui jouait de la batterie, un

trésor.

(à suivre)

vendredi 21 mars 2014

Un choc!


En furetant et en cherchant sur ma tumeur, j'ai vu un une vidéo d'un type
atteint de la même maladie que moi et ce fut un choc, comme si la réalité de ce qui s'en vient devenait concrète.  Ça semblait être fait, supposément, pour remonter le moral, mais moi ça m'a jeté par terre. Il avait la visage totalement bouffi par la cortisone comme je l'ai eu, il était partiellement paralysé du côte gauche (moi ça devrait être du côté droit). Il marchait en claudiquant et avait de la difficulté à se servir de son bras pour lancer un ballon, mais il disait de garder le moral et de ne pas s'empêcher de faire ce qu'on voulait. 

Il devait avoir à peine 35 ans. Est-il aussi joyeux quand la caméra s'éteint et qu'il s'arrête à penser au temps qu'il lui reste? Pas sûr ! Le type est sur la pente descendante, amoché, amoindri et il ne sera plus jamais comme avant, il ne peut que dépérir à plus ou moins long terme et il nous dit "Hop la vie". J'ai bien hâte d'être aussi malade que lui pour être enfin heureux.

Personnellement, je suis encore capable de tout faire, marcher, manger,
penser, respirer sans douleur, mais tout ça va changer. Bien sûr mes pertes
de mémoire et ma vision qui diminue sont là, mais pour le moment ils ne
m'empêchent nullement d'être autonome. Quels seront les premiers véritables
signes dramatiques de l'invasion de la maladie.
Moi, dans mon imitation du Maire Coderre

La seule chose que je ne souhaite vraiment pas, ce sont les crises
d'épilepsie, même si la docteure L. m'a dit qu'il y avait de bons
médicaments, je préfèrerais m'en passer. Une crise, c'est vraiment perdre
totalement le contrôle de soi, mais ça semble presque inévitable. J'ai déjà
vu quelqu'un en crise et le pire, c'est pour ceux qui y assistent, impuissants.

Aussi les maux de tête, quand on a un corps étranger dans la tête qui veut
prendre la place de son cerveau ça crée, je l'imagine, quelques tensions à l'intérieur. Là-dessus aussi, j'ai vu une vidéo et la pauvre fille semblait
souffrir le martyr. On a dû l'opérer, mais pour prolonger sa vie de combien
de temps ?

Pour l'instant rien de tout ça, quoique il y a quelques semaines, j'avais
l'impression qu'un gnome me donnait des coups de pied dans l'oeil mais ça a
passé.

J'attends pour passer une nouvelle IRM, je saurai alors si je reprends la chimio et possiblement le Décadron.

mercredi 12 mars 2014

Ici et maintenant 2

PRISE DE SANG ET SCAN



Suis à l'hôpital, j'ai eu une prise de sang ce matin à 11h et j'attends 13
heures pour une résonance magnétique. Au début, j'en avais à chaque mois, mais comme c'était stable, ils m'ont espacé ça de trois mois. En attendant, j'écris ceci de la
cafétéria Deschamps à côté du terminal de Loto-Québec, ces bandits. C’est
peut être une belle façon qu’on  a trouvé pour que les patients remboursent
l’état pour la gratuité des soins médicaux, ou peut être que « malchanceux
en santé, chanceux à la loterie ».

Le vieux monsieur sur le troisième dessin a été obligé de lâcher sa
marchette deux secondes pour fouiller dans son portefeuille pour se payer un
billet. Il s’est appuyé les fesses sur une table, je le voyais vaciller.
Qu’est ce qu’on ne ferait pas pour se faire croire qu’on sera peut être
millionnaire bientôt.

Personnellement, je ne vais pas très bien dans ma tête de ce temps là, ben
de la difficulté à me lever. Toujours une seule question, pourquoi? LA
QUESTION  existentielle. Pourquoi me lever? Pourquoi manger? Pourquoi me
brosser les dents?  Heureusement que respirer est un automatisme, sinon je
pourrais oublier. Je sais, en fait, non je ne sais pas si je suis en
dépression, en fait une sorte de, mais je suis encore capable de
fonctionner, mais maudit que c'est dur. Ce n'est pas la tumeur dans mon
cerveau qui fait ça, mais le vacuum dans le dit cerveau, créé par les
évènements de ma vie.

Je ne vous ai pas tout dit encore sur mon année 2013, mais le pire, je pense
fut ma séparation, ou le vide créé par cette séparation. Car le divorce
était nécessaire, absolument, nous nous consumions l'un l'autre, mais
l'absence d'une relation aussi intense, qu'elle soit positive ou négative
laisse un abîme quand elle disparaît. On n'y reviendrait pas, mais
impossible de combler le vide si facilement.

P.S. Depuis que j’ai écrit le texte précédent, je vais un peu mieux, mais
c’est seulement parce qu’il fait plus chaud ou moins froid, c’est selon. Mes

vieux os n’en pouvaient plus de ces froids sibériens.  













                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  RÉSULTAT DU SCAN


Ce matin, j'ai été à mon rendez-vous avec mon médecin en onco et en y
allant, à pied, j'ai trouvé dans les ordures du jour une boîte pleine de
vieux vinyles. D'ordinaire, dans les ordures on trouve de vieux disques de
Ginette ou de René, mais là, le pactole, Abbey Road, deux fois et un autre
vieux Beatles et Led Zeppelin, leur deuxième et U2, leur deuxième aussi. Il
y en avait d'autres, mais je me voyais mal arriver à l'hôpital avec une
boîte de vieux microsillons.

Avant de rencontrer mon médecin, je me suis dit : c'est mon jour de chance
c'est certain. Et bien non! La bonne nouvelle, c'est qu'il y a de l'activité
dans mon cerveau. La mauvaise, c'est que c'est ma tumeur qui s'est,
possiblement, remise au travail. Il faudra que je passe un autre scan dans
trois semaines, mais de la façon dont il parlait de ma prochaine chimio, je
crois que je vais y repasser.

Alors, depuis ce matin je vis intensément et je jouis de chaque instant qui
m'est donné. Mais non, c'est une blague, je hais ce lieu commun. J’ai
l'impression que c'est quelque chose que les gens disent à la télé parce que
dire qu'on est déprimé ça ne se fait pas. Il faut être un battant toujours.

Alors, si je crève bientôt, vous pourrez vous dire que c'est parce que je
n'avais pas une attitude positive et que je ne me suis pas battu contre la
bête. Bien fait pour moi!

Par contre, l'autre bonne nouvelle, c'est que je vais peut-être retrouver
une partie de mon lectorat. Depuis que j'allais mieux, je suis passé de
mille visites au début de ma maladie à une centaine. Mais, j'imagine que
j'ai gardé les meilleurs, merci à vous.

P.S. Il y avait fort longtemps que je n'avais pas dessiner en public, de là la piètre qualité des premiers dessins de cette page. On dirait qu'il faut toujours que je réapprenne à dessiner. 

jeudi 6 mars 2014

Mon père 2





Mon père était un homme charmant...avec les étrangers. Avec nous, c'était
une autre histoire. Je crois qu'il n'était pas fait pour avoir des enfants,

en tous cas pas les responsabilités qui viennent avec. À cette époque, la
vie ne vous donnait que deux choix, mariage et enfants au plus sacrant ou le
sacerdoce. Si on ne décidait pas de se marier à Jésus, il fallait choisir le
ou la bonne partenaire et je peux vous dire que mes parents se sont trompés.

Lui était typographe, intelligent, mais ce que j'appellerais une
intelligence morte. Il a appris ce dont il avait besoin pour avoir un métier
et se débrouiller dans la vie, mais ça s'est arrêté là. Aucune curiosité,
aucun goût de la nouveauté, aucun esprit d'entreprise. Je n’ai jamais vu
d’étincelles dans ses yeux. On lui a parfois offert des promotions, mais il
préférait être simple employé, ça lui suffisait. Sa vie se résumait à
métro-boulot-dodo et nous engueuler.


D'un autre côté son insécurité a fait que nous avons pris nos vacances toute
notre jeunesse au même endroit, à Saint-Michel-des-Saints. Nous n'avons
jamais déménagé, alors pour des enfants, c'était quand même rassurant. Quant
à ma mère, je pense, qu'elle aimait bien la sécurité qu'il lui apportait, il
était très économe et travaillant et il a pu acheter une maison dès leur
mariage.

Mais pour bien comprendre comment il abhorrait les changements, les
responsabilités et les travaux de la maison, ce qui le mettait le plus en
colère, c'était changer les fenêtres double, oui, oui, les fenêtres double.
À chaque fois, c'était l'horreur et comme l'évènement se produisait au
printemps et à l'automne, c'était une double angoisse. En plus, comme c'est
lui qui décidait de la date, j'angoissais toujours d'avance en attendant le
jour fatidique.

Comme j'étais le plus vieux garçon, c'est à moi qu'incombait la tâche de
l'assister. Il me jappait ses demandes et bien sûr je ne comprenais jamais
vraiment ce qu'il voulait : ou bien je lui donnais la mauvaise fenêtre ou le
mauvais chiffon ou n'importe quoi pour qu'il puisse passer ses frustrations
sur le cabochon que j'étais. Ma mère y goûtait aussi, elle était la
gardienne de la maison, donc, si les outils n'étaient pas à leur place,
c'était de sa faute à elle. Il disait alors: "J'imagine que c'est les
esprits qui l’ont pris".

Ce que mon père aurait voulu, je pense, c'est aller travailler, ramener son
chèque, en donner une partie à sa femme, puis s'assoir dans son fauteuil et
qu'on lui fiche la paix comme bien des hommes de cette époque. Mais il y
avait toujours quelque chose à faire dans ou autour de c'te foutue maison:
déboucher ou arranger un lavabo qui fuit, couper le gazon, pelleter la
neige, ramasser les feuilles à l'automne, peinturer et le stress ultime,
paqueter le char pour partir en vacances. Ma mère, en particulier, payait
cher pour ses quelques semaines de "repos".

Par contre, sauf pour quelques claques derrière la tête, il ne nous à jamais
frappé; sa grosse voix, ses sourcils noirs en accent circonflexe du haut de
ses six pieds suffisaient à nous terroriser.

Je me souviendrai toujours de cette rare fois où on s'amusait avec lui
autour de la table. Il s'est levé, sûrement pour prendre son cendrier, alors
j'ai eu la "bonne idée" de retirer sa chaise de sous lui et il est tombé le
cul par terre. Erreur! J'ai couru jusqu'au milieu de l'escalier et je
regardais par une encoignure en attendant sa réaction. Le crime était
tellement grand que je ne pouvais imaginer ce qu'il allait me faire. Mais,
il ne s'est rien passé, rien, il m'a simplement dit de ne plus faire ça, que
c'était dangereux et on est passé à autre chose.



Ma mère, tout le contraire de mon père, une femme intelligente, allumée,
curieuse, mais j'ai pris des années à m'en rendre compte, emprisonnée
qu'elle était dans son carcan de femme au foyer. Ce n'est que bien plus tard
qu'elle s'est libérée, qu'elle s'est trouvé un humble travail de vendeuse de
chaussures et qu'elle s'est affranchie de mon père après une longue lutte.
Mon père ne voulait pas que ma mère aille travailler, il trouvait que sa
place était à la maison. À cette époque, une femme qui travaillait à
l’extérieur, était la preuve que l'homme ne pouvait faire vivre son épouse
convenablement. C'était dur pour l'orgueil du monsieur.

Avant de se laisser, mon père a passé des années à ne pas lui parler. Ma
mère lui écrivait des messages du genre : « Il y a du pâté chinois pour
souper, réchauffe le une demi heure à 350 degrés ». Et ce n'est qu'après
leur séparation qu'elle a développé sa passion pour l'écriture. Elle a suivi
des dizaines d'ateliers d'écriture et elle a même publié un livre chez un
vrai éditeur et je vous jure qu'elle est aussi bonne écrivaine que Jeannette Bertrand.