jeudi 7 février 2013

Lettre à mes parents et amis et quelques autres en passant




"J'ai une tumeur qui veut me faire mourir. Et c'est ma raison d'aimer la vie. 
Depuis le jour où je l'ai appris. J'ai une tumeur qui veut me faire mourir."
          À chanter sur l'air de la chanson de Renée Martel




Depuis quelques temps, j'avais de légères pertes de mémoire, il m'est même
arrivé d'oublier le mot "Faceboo", imaginez. J'avais aussi des problèmes de
vision, j'avais de plus en plus de difficultés à lire, comme si les mots
étaient charcutés, hachés. Je devais relire chaque 
 bout de phrase deux fois pour être certain de son sens.

Je mettais ça sur le compte de l'âge, je vais avoir soixante ans bientôt,
mais j'ai décidé, tout de même de consulter une amie optométriste qui m'a
envoyé directement à l'hôpital.

C'est là, le 21 décembre que j'ai appris du docteur Marie Li que j'avais une
tumeur au cerveau, pas cancéreuse, pas maligne, mais du genre qui progresse,
lentement mais sûrement et vous envahit le cerveau. Elle est là depuis fort
longtemps semble-t-il, un peu paresseuse, mais elle va tout de même finir
par avoir le dessus d'ici quelques années. Les pronostics vont de deux à dix
ans.

S'il faut chercher le traumatisme qui l'a causé, c'est peut être quand Alain
Duval m'a rentré dans ma case au secondaire. Duval qui me volait aussi mes
sandwichs et mon argent de poche, les rares fois que j'en avais, pour
s'acheter un Mae West avec, alors que moi je ne me le serais jamais permis.

Blague à part, croyez le ou non, ce fut une bonne nouvelle pour moi, comme
si on me libérait du poids de la vie, du quotidien, de la lourdeur des
petites choses . Je n'ai jamais été aussi heureux. Une libération!

J'ai appelé tous mes clients, fini, je ne travaille plus. J'ai un peu
d'argent de coté, je n'en avais certainement pas assez pour me rendre à 90
ans, mais 70, ça devrait aller et puis l'état va payer la note pour la
grande scène finale quand je serai aveugle, débile et sans mémoire.

Vous connaissez la fameuse question qu'on se pose parfois pour alimenter la
conversation : "S'il te restait cinq ou dix ans à vivre que ferais-tu? Et
bien moi je sais la réponse: RIEN! Surtout pas de croisière, ça me tuerait
encore plus vite.

Depuis l'annonce, c'est comme si le temps n'existait plus. J'aurais cru le
contraire, mais c'est comme si tout à coup il devenait élastique, ou même
s'il n'existait plus du tout. Je peux prendre le temps que je veux pour
faire chaque petite chose. J'ai fait une recette de biscuit, l'autre nuit
(la cortisone me rend insomniaque) et en temps normal j'aurais essayé de la
faire à toute vitesse, en pensant que j'avais bien autre chose à faire que
ça, mais à ce moment précis, c'était LA chose la plus importante et
j'accordais à chaque geste le temps nécessaire.

J'ai toujours admiré mon chat pour ça. S'il attend dehors que je le fasse
entrer dans la maison, cinq minutes ou une heure, pour lui ça semble pareil.
Il n'entrera pas en disant "Hey chose, t'aurais pu m'ouvrir avant, j'ai vu
que t'étais là", mais il ira nonchalamment à son petit plat en prenant une
caresse en passant. Cool le cat.

La vie telle que je l'ai connue avant, c'était comme nager à contrecourant.
Vous connaissez cette annonce où le coureur se dédouble et "réussit" à se
dépasser et bien c'était moi. Mais moi, je courais avec un crayon et du
papier en plus. Chaque fois que je faisais quelque chose, je me disais que
je pourrais être en train de dessiner à la place, toujours, jamais de repos,
même en vacances, surtout en vacances. Alors, quel bonheur de ne pas
penser sans cesse que je devrais être ailleurs tout le temps. Je suis là
point, et heureux d'y être.

Maintenant, quand je promène mon chien dans le parc, j'ai l'impression de
marcher au dessus du sol et si je regarde le firmament, j'ai l'impression
d'être attiré vers le ciel, molécule par molécule. Comme si je faisais
partie de l'infini plutôt que d'être limité à ma carcasse physique. Avant,
quand je regardais la voûte étoilée, j'avais l'impression d'être infiniment
petit, maintenant, j'ai l'impression d'être infiniment grand, de faire
partie de tout ça.

J'ai toujours haï les clichés, vous ne m'entendrez jamais parler de combat
contre la maladie, bien sûr, en bon animal que je suis, je vais essayer de
vivre le plus longtemps possible, mais je ne considère pas ma tumeur comme
mon ennemie, elle est là, du moment qu'elle paye son loyer, ça va aller.

Coté technique, ma maladie s'appelle "oligodendro gliome"
(http://gfme.free.fr/maladie/oligodendro.html). On m'a fait une biopsie le 4
janvier, un autre grand moment que je vous raconterai et j'attends toujours
les résultats, sans anxiété aucune, c'est peut être la cortisone qu'ils me
donnent pour faire désenfler le truc, ça me bouffit un peu le visage mais à
part ça que du bonheur. Je ressemble de plus en plus à René Simard dans ma
tête, si ça continue, je vais prendre des cours de claquette.

Il y a plus d'une déclinaison de cette tumeur et la biopsie va déterminer
laquelle j'ai. Certaines se traitent mieux que d'autres, mais jamais
complètement, alors je vais dégénérer petit à petit jusqu'à devenir un grand
légume même pas bio.

Mais, ne me souhaitez pas bonne chance. Qu'est ce qui est mieux, mourir plus
lentement ou moins? Ceux qui semblent le plus souffrir en ce moment, sont
les gens autour de moi que j'aime et que j'apprécie d'autant plus.

Pour l'instant, je vais très bien comme vous le constatez, physiquement et
mentalement, mais mon bon docteur m'a dit que j'étais bien chanceux. La
première manifestation de cette maladie est souvent une crise d'épilepsie,
que je n'ai pas eu, pas encore (ça arrive dans 80% des cas) et le jour où on
va commencer mes traitements de chimio et de radio, je serai certainement
moins exubérant, mais on verra, à suivre...



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