L'ANNONCE FAITE À NORMAND
(Ce texte est une version allongée et détaillée et différente aussi du premier, il y a des
redondances, mais aussi beaucoup de détails de plus)
J'ai cherché sur internet des articles sur la mort ou bien des articles de
gens qui comme moi font face à la mort et j'ai trouvé bien peu de choses.
J'imagine qu'on aime mieux parler de la vie et de ses chats.
Personnellement j'en ai trois dont un assis dans la bergère devant moi et
qui me regarde nonchalamment écrire ceci. J'ai décidé personnellement d'en
parler, pas de mon chat, mais de la mort. La mort est un sujet qui m'a
toujours fasciné en tant qu'illustrateur, les images du crâne, du squelette
et les nombreuses façons qu'on a trouvé, surtout au Moyen-âge, de
représenter la mort et son cortège de symboles sont fascinants, on n'a qu'à
penser à Jérôme Bosch.
Et puis la mort dure un tantinet plus longtemps que la vie, mais on l'ignore
ou bien on n'en parle que quand quelqu'un est malade ou en fin de vie, comme
on dit, pour ne pas dire le mot maudit: "MOURIR". On a même peur du mot,
c'est vous dire à quel point il nous terrorise.
Personnellement, j'ai décidé d'en parler, vous lirez ou pas, c'est votre
choix, mais la présence de la "grande faucheuse"(Quel image fabuleuse)
devant moi me fait penser à des choses un peu différentes de ce à quoi je
pensais auparavant et je croyais que vous aimeriez peut-être avoir un avant
goût de ce qui vous attend. Quoique on est tous bien diffèrents, comme nos
morts le seront, bien évidemment.
Ma petite maladie à moi s'appelle "oligodendro
gangliome".(http://gfme.free.fr/maladie/oligodendro.html)
C'est une maladie, en fait une tumeur qui progresse fort lentement,
tellement que je savais depuis longtemps que j'avais des problèmes entre
autres de visions et de mémoire que j'attribuais simplement à l'âge. J'avais
beaucoup de difficultés à lire, les mots étaient charcutés, comme si je
souffrais de dyslexie, alors plutôt que de consulter, je lisais de moins en
moins en me disant que j'irais voir mon optométriste un jour,
éventuellement.
Pour ce qui est de la mémoire, je trouvais ça presque normal, mon meilleur
ami qui à mon âge (59) venait d'aller consulter sur le sujet, alors je ne
m'en faisais pas trop. Mais, les blocages se faisaient de plus en plus
fréquents. Je travaille sur Photoshop depuis plus de 15 ans et un jour, j'ai
voulu trouvé le mot, mais je n'avais rien sauf la première lettre, après ça,
le néant et je n'ai jamais réussi à le trouver. D'ailleurs, j'observe deux
faits étranges, d'abord que j'ai souvent la première lettre d'un mot mais
pas le reste et puis que ce avec quoi j'ai le plus de difficultés, ce sont
les épices et les fines herbes dont j'oublie le nom, bizarre.
Le pire, les chiffres, je devais me promener avec un petit papier en disant
que je venais de déménager parce que je ne me souvenais plus de mon propre
numéro de téléphone et il y avait aussi le système d'alarme que j'ai
déclenché à maintes reprises.
Vous avez peut-être remarqué que je parle au passé, c'est que mon bon
docteur m'a administré de fortes doses de, de quoi déjà? Ah oui, il faut que
je pense à Cortez, le conquistador espagnol, donc de la Cortisone à très
fortes doses qui est un anti-inflammatoire puissant et qui réduit ma tumeur
et ses effets pervers, mais qui me rend également insomniaque. J'écris ceci
à 4 heures du matin, mais j'adore, je me prends pour Balzac.
J'allais enseigner en janvier à l'université Laval et je me suis dit qu'un
prof d'illustration qui a des problèmes de visions ce n'est pas l'idéal. Par
contre, je n'avais aucune difficulté à travailler mes images sur mon ordi ou
en vrai, mais c'est que pour l'instant, ce sont mes bâtonnets, ma vision
périphérique et non mes cônes, au centre, qui sont affectés.
Donc, le 21 décembre, j'ai été voir une optométriste, une vieille
connaissance à moi. Elle a tout de suite vu que j'avais à peu près perdu la
moitié de ma vision du côté droit de mon oeil droit et un peu moins de mon
oeil gauche. En fait, je ne vois que de petites lumières. Si je mets ma main
à ma droite, je ne peux pas compter mes doigts.
Efficace, elle a appelé immédiatement â l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et
chance inouïe, elle m'a obtenu un rendez-vous immédiatement, merci Danielle.
Là, après un peu d'attente, quand même, je me suis collé l'oeil sur une
énorme demi sphère. Les dames pointaient à l'intérieur et je devais dire si
je voyais le point noir qu'elle promenait sur la bulle. Je dis les dames
parce que comme c'était le changement de quart de travail j'ai eu droit à
une personne différente pour chaque oeil. Ensuite elles faisaient un petit
dessin au prismacolor. J'aurais bien aimé les aider, je trouvais
personnellement que ça manquait de contraste.
Avec ma petite feuille on m'a envoyé chez les ophtalmologistes où après
examen, on a constaté que ce n'était pas mes yeux, mais quelque chose dans
mon cerveau.
Comme j'avais été admis à l'urgence, j'avais déjà un petit lit dans le
corridor et en bon extra-terrestre que je suis, j'ai adoré. Depuis le temps
que j'en entendais parler. À choisir entre aller faire du rafting et coucher
dans un corridor d'hôpital, je choisirais définitivement le corridor. Il y a
tellement à voir et à observer.
Par contre, je dois souligner que je ne souffrais pas, pas encore. Alors,
peut être que je choisirais le rafting plutôt que des pierres au rein ou une
pneumonie, par exemple. Le plus cocasse, si je puis dire, c'est que cette
maladie que j'ai, va peut être me tuer plus vite, moi qui ai l'air si bien
que tous ces gens qui attendaient là qu'on les soigne.
Pour en revenir au corridor, j'avais à côté de moi un vieux pervers
irlandais dont je n'ai jamais vu le visage. Deux policiers le surveillaient
et ils avertissaient les infirmières venues le soigner que c'était un
dangereux maniaque sexuel. Mon vis à vis était un vieux monsieur italien
contagieux, il paraît et que je croyais mort tellement il ne bougeait pas.
J'ai passé une fort belle nuit (vive les bouchons), sauf que je me faisais
souvent réveiller par un infirmier qui venait prendre pression et
température. Aussi, vu que j'avais dit que je perdais la mémoire, on croyait
que j'avais fait un ACV, alors il me demandait qui j'étais et où j'étais,
tout en me faisant pousser avec mes pieds.
Comme je n'ai jamais été capable de me rappeler du nom de ce foutu hôpital,
que j'appelle toujours Hochelaga-Maisonneuve ou rien du tout parce que je ne
m'en souviens plus ou Georges-Laraque parce que je trouve qu'il mérite bien
d'avoir un hôpital à son nom, j'avais toujours l'air un peu fou.
Le lendemain, j'ai vu un premier spécialiste du cerveau, un neurologue, qui
m'a demandé ce que je faisais là puisque j'avais l'air super bien. J'imagine
que ça voulait dire que j'aurais dû passer par un autre chemin que l'urgence
pour le voir, mais j'imagine aussi que c'aurait été un tantinet plus long.
J'ai raconté ma vie une nouvelle fois et on m' a envoyé dans le grand tunnel
blanc qui fait toc toc pour voir à l'intérieur de mon corps. Je pense que le
vrai nom est "tomodensitomètre".
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais comme on a beaucoup de chances
de mourir d'un cancer quelconque, on essaie d'imaginer lequel sera le nôtre.
Alors aussitôt qu'on a une petite douleur dans cette région, on est sûr que
ça y est. Moi, c'était les intestins. J'ai été constipé longtemps à mon
époque plus steak-patates, alors j'étais certain que ce serait ça ou bien
les poumons parce que j'ai fait plein de pneumonie quand j'étais jeune.
Aujourd'hui, je suis rassuré, à part la tumeur au cerveau, je suis très bien
portant, ce qui veut dire que je serai probablement légume plus longtemps
qu'une personne en moins bonne condition physique. Réjouissant!
Je suis resté jusqu'au dîner, je ne voulais pas manquer ça, puis je suis
rentré chez moi. J'avais maintenant rendez-vous avec le docteur Li, une
neurochirurgienne, ceux qui joue dans votre cerveau. J'étais rendu au sommet
de la chaîne des traitements. Personnellement j'aurais préféré que ce soit
simplement mes yeux, c'est un peu moins mortel, mais bon je vais vivre avec,
c'est le cas de le dire.
Quelques jours plus tard, je rencontre le docteur Li, un gentil bout de
femme positive et dynamique qui comme bien des orientaux aura toujours l'air
jeune. Elle m'emmène dans un petit bureau au bout du corridor des malades.
Et là elle m'annonce sans réserve que j'ai une tumeur au cerveau
(oligodendro gangliome) et que j'en ai pour deux, cinq ou dix ans, c'est
selon la sorte et ça on le saura après la biopsie. Elle me montre les
résultats du scan et ma tumeur entourée des calcifications. Je n'ai jamais
bien compris où elle était, elle déroulait ses images à la vitesse de
l'éclair. Tout ce que j'ai retenu, c'est que j'ai l'air d'une vieille poule
sur les images.
À ce moment là, j'ai gardé mon sang-froid, mais maintenant que je vous le
raconte, ça me fait un peu bizarre. Se faire annoncer comme ça, de but en
blanc, que sa vie sera écourtée de dix ou vingt ans ce n'est pas rien. Bien
sûr, j'y vois de bon côtés, pas de Résidences Soleil pour moi, pas de bingos
ou de parties de cartes, ni de longue dégénérescence. On me fait ça "short
and sweet" docteur?
Les seules fois où je pleure, un peu, c'est en pensant à mon chat préféré ou
bien en écoutant de la musique, je ne sais pas pourquoi. L'autre jour, j'ai
entendu une pièce de Philip Glass jouée par Angèle Dubeau et ça m'a mis
complètement à l'envers. Sauf que ce n'est pas triste, c'est juste intense
et très libérateur.
En fait les seules fois où j'ai vraiment pleuré dans ma vie, c'est pour la
mort de mes chiens et pour Sylvie quand elle m'a laissé sauf que quand elle
est revenue, je me suis demandé pourquoi j'avais tant pleuré. Alors pour la
mort c'est peut être pareil, on pleure et on s'apitoie sur soi-même pour se
rendre compte finalement une fois que c'est fait, qu'on est bien mieux de
l'autre bord, surtout si on est assis à la droite du père avec quelques
vierges qui vous jouent de la harpe.
lundi 11 février 2013
L'annonce de ma maladie
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Normand?
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