Lors de ma première rencontre avec ma douce docteure Li et après qu'elle m'eût annoncée qu'il ne me restait que de 2 à 10 ans à vivre, elle m'a dit qu'elle devait me faire une biopsie au cerveau et si j'ai bien compris, dans mon cas par aspiration.
En bon illustrateur que je suis, je l'imaginais une paille entre les dents en train d'aspirer mon cerveau comme un milk shake. Mais, c'est d'une seringue-aiguille qu'elle se servira, grand bien me fasse.
Elle m'a dit encore que selon les statistiques, j'avais une chance sur cent d'en mourir. Ça peut sembler beaucoup ou très peu. Je m'imaginais à Ho Chi Minh ville au Vietnam, là où la circulation ne s'arrête jamais et je me voyais traverser la rue en valsant entre mobylettes et motocyclettes avec un petit carnet que je cocherais, un, deux, trois... En sachant qu'avant que j'arrive à cent je me ferais happé par le seul camion qui passerait par là parce qu'il aurait été sur mon côté aveugle.
Du même souffle elle m'a dit que vu qu'elle allait jouer dans mon cerveau, il y avait quatorze pour cent de chances que j'en sorte, au pire légume, au mieux avec des crises d'épilepsie ou de plus lourdes pertes de mémoire ou des pertes d'équilibre, des étourdissements ou un changement de personnalité, genre que je deviendrais fin avec ma blonde, tout à coup.
Toutes des perspectives pas très souriante sauf la dernière, peut être.
Rassurez-vous, j'ai survécu à la biopsie et je suis encore en état de
fonctionner, même si pour mon docteur je suis bien chanceux.
Je décidai donc avant l'opération, de faire mes adieux à la terre, quand
vous aurez lu l'article sur mon grand-père Errol, vous comprendrez que je
suis éternel et que de ce fait, la mort ne me fait pas peur. En fait cette
première mort fut un des plus beaux moments de ma vie.
Je suis étrangement conçu, autant le quotidien peut me stresser, faire un
appel téléphonique, rencontrer un inconnu...autant me faire dire que
j'allais mourir ne m'a jamais perturbé, ça m'a même réjoui.
Je devais me faire opérer le 4 janvier. Alors après l'annonce du 21
décembre, j'ai eu quelques jours de liberté et de bonheur et j'en ai profité
intensément pour voir les gens que j'aime et surtout ne faire que ce qui me
plaisait en ce merveilleux temps des fêtes qui pour moi est la pire période
de l'année. Je pense que je souffre beaucoup qu'on me sorte de mon
quotidien, sauf pour les voyages bien sûr.
Donc, le bonheur: je me revois avec mes enfants et ma blonde sur la rue
Saint-Denis à siroter un café en mangeant un énorme gâteau aux carottes chez
les Deux Marie (ou sont-elles Trois) enfin, c'était meilleur que jamais.
Donc beau temps des fêtes, sauf que comme tout le monde, je poigne la
grippe, en fait un rhume que je traînerai fort longtemps.
Le trois au matin, je me présente avec ma petite valise (à jeun?) et je
passe la journée dans ma chambre avec Gary, mon voisin tatoué de pied en cap
en bon soldat du crime qu'il fût naguère (c'est lui qui me l'a dit). Ce
pauvre homme que je trouvai par ailleurs très serein, est ici cloué à son
lit, depuis 2 mois. Il a une tumeur près de la moelle épinière qui le fait
souffrir toujours et qui l'empêche de prendre une quelconque autre position
que sur le dos. Il a des tumeurs récurrentes qu'il se fait enlever, mais là
c'est plus délicat à cause de sa proximité avec ce point névralgique du
corps. Ses médecins ne semblent pas savoir quoi faire avec lui.
En fin d'après midi, je saute le souper officiel pour un examen quelconque
et à mon retour on me sert ce qui semble être un repas de diabétique. Ça
semble la seule chose qu'ils aient pu trouver dans tout l'hopital. C'est une
omelette et une soupe qui goûte encore "plusse" rien que ce que la bouffe
d'hôpital peut goûter en temps normal, faut le faire.
Je demande à ma blonde mes dernières volontés culinaires, ce sera simplement
quelques tranches de mon pain au levain que je fais moi même et un peu de
Zurigo, un délicieux fromage québécois. Elle va m'apporter mon pain, mais du
Oka à la place du Zurigo, parce qu'il pue, supposément. Bien sûr elle m'a
apporté des tonnes d'autres choses, généreuse comme elle est.
Une fois dans mon lit, j'étais tout à fait heureux, détendu, en paix. Alors,
je me suis mis à penser à ce que j'aimais le plus manger, je ne sais pas
pourquoi. En tête du palmarès venaient huîtres et citron avec une bonne
bière belge et tout de suite après un bon Bordeau avec de bons fromages,
puis des rouleaux du printemps, mais faits par moi-même, tout croches, mais
bien farcis et des sashimis et j'ai continué la liste comme ça en me
délectant intérieurement.
Puis, j'ai pensé à tous ces fabuleux voyages que j'ai pu faire, en en
revivant quelques-uns dans ma tête, comme dans un rêve. Quand mon fils était
bébé et que je devais lui donner sa bouteille à trois heures du matin je
faisais ce même exercice. Je prenais un voyage en particulier et je le
refaisais au complet en suivant l'itinéraire et c'était vraiment comme si
j'y étais avec en plus mon fils dans mes bras et mon gros chien à mes pieds,
le bonheur total.
Jamais une pensée négative n'a traversé mon esprit, je ne me forçais même
pas à être positif, ça me venait tout seul. Puis sont venus ma famille, mes
amies et amis et je me suis endormi heureux d'une si belle vie.
Le lendemain matin, je me suis rendu moi-même à la salle d'op, sauf que
j'avais tellement peur de geler que j'avais gardé mes survêtements qu'on m'a
obligé à enlever pour ne garder que la magnifique jaquette.
Je ne sais pas si vous vous êtes déjà fait anesthésier, moi c'était la
deuxième fois et c'est assez spécial. Ils vous entrent dans la salle, vous
disent bonjour et une seconde après vous n'êtes plus là, comme si vous
cessiez d'exister. Ils pourraient vous charcuter, vous couper les deux
jambes, vous greffer la tête de Jean Charest, vous ne vous en rendriez même
pas compte.
Moi, le docteur Li m'a simplement fait une jolie courbe du côté gauche,
derrière la tête avec de forts belles et grosses agrafes. Dans la douleur,
je ne me suis rendu qu'à trois sur dix, donc même pas besoin de petites
pilules. Je devais rester étendu avec un tube dans le moineau et des
jambières gonflables autour de jambes. Le plus pénible dans tout ça, ça été
mon infirmière qui tenait absolument à ce que je lui fasse un litre de pipi
avant de partir pour être certain que tout fonctionnait. Elle m'a laissé
partir après deux petits essais insatisfaisants, le regard plein de
reproches.