Bon, ça y est, on vient de me redire que je vais mourir. Je
commençais à peine à me croire éternel et voilà qu’on me relance ma finalité au
visage, mais, je l’ai cherché. Il y a des questions qu’il ne faut pas poser,
mais, je tenais à savoir, alors, je dois vivre avec la réponse.
Pour résumer, c’est l’ophtalmo-oncologue, dont je vous ai
déjà parlé, qui m’a envoyé consulter un spécialiste du cerveau, j’appelle ça
comme ça, parce que je ne suis jamais capable de me rappeler du vrai mot. Je
sais au moins que c’est quelque chose en -logue, aidez-moi quelqu’un, pas
dermatologue, pas brainologue. Bon, merci Wikipedia : neurologue. Il y a
des mots comme ça qui m’échappent totalement, rien à faire. Comme là, je
regardais le mot sur le site et comme je m’apprêtais à l’écrire ici, je l’avais
déjà oublié. C’est d’ailleurs pour ça que je reçois un « gros »
chèque de maladie du gouvernement à chaque mois. Je suis payé pour perdre la
mémoire, il y a pire, je pense.
Alors, je continue mon histoire, c’est en rapport avec ces
migraines ophtalmiques dont je vous ai déjà parlées : ces petits points
lumineux qui apparaissent soudainement dans mes yeux et m’aveuglent en partie
puis me laissent après quelques vingt minutes avec un léger mal de tête. Pour remonter
encore plus loin, c’est qu’une fois, en 2014 pendant l’une de ces migraines, j’ai perdu la mémoire des mots, j'étais capable de parler ,mais, il
m’était absolument impossible de nommer les objets banals que je voyais autour
de moi : mon manteau, ma tuque, une patère, etc. C’étais toujours :
« Ché pas! »
Aujourd’hui, je me dis que j’aurais dû fermer ma trappe
puisque depuis, ça ne m’est plus arrivé, sauf une mini fois, il y a un an.
Donc, un épisode et ¼ en plus de trois ans, mais, me voilà pris dans
l’engrenage. Je vais devoir passer un…bon, ça y est trou de mémoire encore. Ce
truc où ils vous mettent des trucs sur la tête pour mesurer l’activité du
cerveau. Ah oui, encéphalogramme, fiou! Pourtant, c’est un mot si simple. LOL.
Donc, rendez -vous avec le neurologue, le docteur M, mais
aussi, avec une jeune dame, elle aussi neurologue, la docteure L, qui me fera
passer tous mes tests, sous l’œil vigilant du vieux doc à la barbe blanche.
D’après ce que j’ai compris, ça n’aurait peut être pas été
nécessaire que je passe tout ça, parce que je suis encore en bon état, mais, il
semblait qu’il fallait suivre le protocole. Bon, je vous fais la description: d’abord,
elle m’a fait écrire un petit texte, puis m’a demandé de le relire, puis, m’a
montré une couleur et m’a demandé de l’identifier. J’ai répondu Bleu Pantone no
332, ça l’a presque fait rire, je venais de lui dire que j’avais été
illustrateur. Faut dire qu’ils sont sérieux ces gens-là, après tout on parle
ici de maladie et de souffrance, pas trop de place ici pour l’humour, même de
la part du patient.
Elle m'a aussi demandé quelle date on était, mais, je lui ai fait comprendre que pour moi les dates sont la plupart du temps sans intérêt. Autrefois, j'étais pigiste et pour moi, tous les jours se ressemblaient, sauf quand j'avais un travail à remettre à un moment précis et maintenant en tant que retraité forcé, le calendrier ne m'intéresse plus que lorsque j'ai un rendez-vous à l'hôpital, justement. Je lui ai quand même dit quelle date on était, car je l'avais entendue à la radio ce matin-là.
Ensuite, elle m’a dit trois mots, si je me souviens bien,
c’était rouge, ballon et un autre mot, pas rapport, comme on dit. Puis, ce fut
le bout le plus ardu, elle m’a fait faire du calcul mental, une dizaine
d’opérations, pas trop difficiles, mais j’ai toujours été pourri là-dedans et
comme elle ne réagissait jamais à mes réponses, je n’ai jamais su si j’étais
correct ou bien dans le champ.
Aparté : je me souviens d’une journée de la Saint-Jean
en 197…, sur la montagne. Pour vous situer l’époque, ceux qui ont mon âge se
rappelleront que c’était la fois où à la fin de la soirée, les gens criaient :
« Qui ça? » Et d’autres leurs répondaient : « Bobépine! ».
Donc, j’avais été embauché pour vendre de la bière pendant toute la soirée et
je me promenais avec mon truc métallique contenant une douzaine de verres de
bière en carton. Ça se vendait très bien, c’est facile à imaginer, mais, je me
suis retrouvé à la fin de la soirée avec un déficit : je leur devais de
l’argent? Alors, vous comprenez que les maths et moi, c’est deux. Les seules excuses que j'avais étaient, le bruit et la noirceur.
Retour avec la docte doctoresse, alors, après tous ces
calculs, la coquine, elle m’a redemandé les trois mots qu’elle m’avait dits
auparavant et je les ai eus. Quel brillant restant de cerveau, cet homme!
Puis, elle a
essayé de voir l’ampleur de mon champ de vision et elle semblait surprise qu’il
m’en reste autant. Puis, tests de réflexes, sur mes bras et mes pieds, d’abord
avec un cure-dent, pour voir si j’étais assez cuit. Mais non, c’était pour voir
si j’avais des parties insensibles sur mon corps: bon signe, ça piquait
partout.
Ensuite, manipulation manuelle de mes mains et de mes pieds nus.
Elle me faisait fermer les yeux, puis, me levait ou m’abaissait un doigt en me
demandant si c’était vers le haut ou le bas qu’elle allait. Ce n’est qu’avec
les doigts de pieds que j’ai eu des problèmes : je ne savais vraiment pas!
Autres problèmes. Elle m’a dit de lui montrer mon index et je ne savais pas
quel doigt c’était. J’ai essayé de nommer mes doigts, mais, il m’en manquait,
il y en a tellement. Mais, je pense que c’était le stress, parce que
maintenant, je suis parfaitement capable de les nommer.
Problème aussi avec ma gauche et ma droite, mais, je leur ai
fait comprendre, que ça remontait à loin et que je devais parfois encore, faire
mon signe de croix pour trouver ma dextre.
Puis, encore les réflexes aux articulations, mais avec le
petit marteau métallique. Tout semblait bien aller, mais, impossible d’en être
certain : ils demeuraient impassibles.
Bon, j’espère que je ne vous ennuie pas trop avec tout ça,
il y a bien un punch, mais pas drôle du tout et le voilà. C’est que j’ai eu la
mauvaise idée de demander au vieux doc, si j’étais chanceux d’être dans l’état
dans lequel j’étais. Il a regardé le plafond, a murmuré trois ans, puis, m’a
dit : oui!
Voilà, elle est là, la puissance des mots. Un seul, celui que vous n'attendiez pas, et vous voilà terrassés comme par un uppercut de Mohammed Ali. Bien sûr, il y a
pire, comme se faire annoncer la mort soudaine d’un proche. Mais, c’était comme
si on m’annonçait à nouveau, la mort imminente d’un être très très proche, en
l’occurrence, moi. Je sais que je suis en sursis, mais, j’ai tendance à essayer
de ne pas y penser et ça marche, sauf quand je pénètre dans un hôpital.
C’était la première fois que je venais dans le département
de neurologie (le mot m’est venu facilement cette fois, fiou!) et, autant, le département
d’ophtalmo est le royaume des borgnes et des aveugles, ici, c’est la canne et
la chaise roulante qui règnent en maîtres. Alors quand je me promène, ici,
debout sur mes deux jambes et que je vais à mes rendez-vous d’un pas allègre,
je mesure ma chance. Je sais, on est tous des morts en sursis, mais, savoir que
j’ai le sursis plus court que les autres me cause, quand même, un peu de soucis.
À SUIVRE
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